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Boutkof. Il me reste à ajouter que tout cela a été dit avec un sentiment de franche sympathie et d’estime pour vous. »

On voit par ces dernières lignes quels reprochés ses adversaires faisaient à Milutine et ce qu’il était parfois obligé d’entendre de la bouche même de ses protecteurs ou de ses amis officiels. À ce billet Milutine répondit le lendemain par une longue missive, sorte de mémoire où il exposait ses plans pour une refonte de l’administration et la création d’états provinciaux qui, sous le nom de zemstvos, devaient en effet être institués trois ans plus tard en grande partie d’après ses vues et les projets laissés par lui[1]. Cette lettre montre qu’au sommet où commençait la vaste liquidation du servage, le ministère de l’intérieur avait déjà préparé tout un ensemble de réformes administratives ; que Milutine et Lanskoï comptaient introduire le self-gouvernment local dans les provinces comme par la charte d’émancipation ils l’avaient établi dans les communes de paysans. À leurs yeux, les deux réformes étaient connexes, et en fait n’étaient-ce point les deux moitiés d’une même œuvre ? Quant aux reproches qui, au nom du grand-duc, lui étaient transmis par un tiers, Nicolas Alexèiévitch, avec une fierté qu’on comprendra, n’y faisait ni réponse ni allusion. Il terminait ainsi non peut-être sans une secrète ironie sa lettre au confident du frère de l’empereur :


N. Milutine à M. G….


22 février 1861.

« En achevant cette lettre ; je passé vite sur ce qui me concerne personnellement. Avant tout, je ne puis pas ne point exprimer à Son Altesse ma profonde reconnaissance de sa gracieuse sollicitude. Les paroles que vous me transmettez resteront toujours pour moi l’un de mes meilleurs souvenirs ; j’emploierai toutes mes forces pour ne jamais obscurcir la bonne opinion qu’a de moi le

  1. Lettre à M. G…, 22 février 1861… Nous avons pour cela en vue deux institutions provinciales » 1° l’administration de gouvernement (goubernskoé pravlénié), sous la présidence des gouverneurs, pour la police et les affaires courantes (rasporiaditelnikh) ; 2° la commission territoriale (zemskoé prisoustvié) ou chambre territoriale (zemskaïa palata), sous la présidence des maréchaux de la noblesse ou d’une autre personne élue pour la gestion des affaires économiques, des affaires d’intérêt général, de bienfaisance, etc. Nous nous proposons de donner à la chambre territoriale (zemskaia palata) toute l’indépendance possible, sous le contrôle d’élus des diverses classes et dans quelques cas sous la surveillance du gouverneur et du ministère. Le plan de cette réforme est en train d’être terminé dans un comité spécial du ministère, et je serais heureux de pouvoir le présenter au grand-duc d’une manière privée avant que l’affaire suive la marche officielle. »