Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inventé et les compositions et même le nom dont il les signe ; apportant un soin assidu à ce travail apocryphe, il poussera la mystification jusqu’à annoter chaque page, commenter chaque œuvre et citer le nom de l’endroit où il prétend avoir découvert chacune d’elles. Il faudra toute l’autorité de Sabellicus et la science accomplie de Raphaël de Volterre pour prouver que, sous ces noms d’emprunt : Manéthon, Métasthène, Archiloque, Mirfilius, Lesbius, Fabius Pictor, Sempronicus et Cato, se cache la personnalité d’Annius de Viterbe, en religion Giovanni Nanni, frère de Saint-Dominique.

L’impulsion donnée dès le XIIIe siècle, le mouvement s’était opéré dans tous les sens ; il ne se limita point à des spécialités, et on peut dire qu’il s’exerça dans toutes les branches de l’entendement humain. Ce serait une erreur, tout en reconnaissant la suprématie non discutée de Florence, de réclamer pour elle le monopole de cette efflorescence ; Pise, Sienne, Bologne, Venise, eurent leur part d’invention et d’initiative, mais il est bien certain que les hardis précurseurs, ceux qui ont fait faire un grand pas et dont le nom symbolise la marche en avant et le progrès, appartiennent presque tous à cette nation favorisée. Le génie naît partout ; mais c’est à Florence que s’achève le développement de ces hautes personnalités. Accursio dans la jurisprudence, Brunetto Latini dans les lettres, Dante, Cavalcanti, Boccace dans la poésie et la prose, Cimabuë et Giotto dans la peinture, Arnolfodi Lapo et Orgagna en architecture, les Pisans dans la sculpture, ouvrent la voie aux quattrocentisti, et, d’où qu’ils viennent, Florence les réclame, les adopte et les enchaîne. Comme plus tard, dans une branche de l’industrie, favorisée par des conditions physiques spéciales au sol, au pays, au milieu, on voit alors l’Europe entière devenir tributaire d’un petit coin de territoire presque ignoré : de 1300 à 1600 l’Europe demande à Florence de lui fournir des lettrés, des diplomates, des savans et des artistes, et, la première’ année du XIVe siècle, comme le pape Boniface avait réuni en un consistoire les ambassadeurs qui lui étaient envoyés de toutes les parties de l’Europe et de l’Asie, on s’aperçut, à l’appel des nationalités, que tous, sans exception, étaient Florentins de naissance. Florence aussi parfois monopolise le génie, et quand elle veut ouvrir le concours pour les portes de son Baptistère, elle demande aux Malatesta de Rimini de laisser partir leur pensionnaire Ghiberti, qui est en train de décorer de ses émaux et de ses sculptures les chambres du Gattolo dei Malatesti ; elle ne leur rendra plus jamais l’illustre auteur des Portes du paradis, qui, reconnu maître et apprécié de tous, se voue désormais à sa patrie.

Du nord au sud de l’Italie, depuis les lagunes de Venise jusqu’au fond des Calabres et des Abbruzes, décrives de l’Adriatique à celles