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désormais toutes les raretés qu’on viendra leur offrir ou qu’ils feront à grands frais venir de l’Orient. L’humble moine qui dispose les livres, les classe, les annote et en forme le catalogue s’appelle Thomas de Sarzane et sera un jour le pontife Nicolas V.

Le même zèle animera les successeurs de Cosme et de Laurent, Pierre le Goutteux continuera leur œuvre, et plus tard Laurent le Magnifique, avec cette chaleur qu’il apporte à toute œuvre qu’il entreprend, complétera la tâche. Deux fois de suite il enverra Jean Lascaris au sultan Bajazet pour obtenir la permission de fouiller la Grèce et les provinces turques de l’Asie ; et Lascaris rapportera deux cents manuscrits, dont quatre-vingts sont inédits en Europe. Par malheur, le sac de Florence, en 1494,sous Charles VIII, dispersera bientôt les plus précieux élémens de cette riche collection ; mais Jean, fils de Laurent, en rassemblera les débris épars pour former la fameuse Laurentiana.

On ne saurait lire sans émotion, dans le Carteggio Mediceo innanzi il principato, recueil de la correspondance des Médicis conservée en original aux archives d’état de Florence, les lettres qui leur sont adressées par leurs divers correspondans. C’est une sollicitude constante pour les lettres et pour les arts ; au milieu des soucis de la politique, des contestations et des intérêts les plus graves, on les trouve toujours l’esprit en éveil sur cette question de l’instruction publique, et leur ardeur ne se dément jamais. Un jour c’est le duc d’Urbin qui veut faire un échange ; un autre jour Malatesta Novello, seigneur de Céséna, le Dux Equitum Prestans, de la superbe médaille du Pisanello, a formé le projet de faire copier la bibliothèque de Saint-Marc, et il la copiera en effet, la léguant intacte à la postérité.

Circonstance piquante et tout à fait curieuse, l’avidité avec laquelle on recherche les manuscrits anciens, les sommes considérables que d’aussi illustres amateurs donnent en échange suscitent chez quelques savans peu scrupuleux l’idée de leur donner pour authentiques des œuvres fraîchement élaborées dans de secrètes officines. Comme on vient offrir aux Médicis de faux antiques revêtus d’une patine obtenue par des mélanges chimiques ingénieusement composés, on leur apporte aussi des pastiches littéraires des écrivains grecs qui tromperaient et eux-mêmes et leurs savans conseillers. Les plus illustres d’ailleurs se font parfois un jeu de mystifier ainsi leurs contemporains ; Léon Battista Alberti, un des plus grands hommes de la Renaissance après Brunelleschi, publie, en 1450, le Philodoxios et signe son œuvre Lepidus comicus ; en 1498, Annius de Viterbe, religieux dominicain, plus tard maître du sacré palais sous Alexandre VI, publiera successivement dix-sept manuscrits d’auteurs soi-disant inconnus, dont il aura