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sur les manuscrits du temps qui sont parvenus jusqu’à nous. Cette confusion des langues, entrave constante à la communication des idées, faisait sentir vivement le besoin d’un idiome commun à tous. Les relations commerciales, très étendues alors, les prédications des moines errans, le concours de la jeunesse des différentes villes aux diverses universités, les alliances contractées au nom de l’idée guelfe ou de l’idée gibeline, les rapports politiques de région à région, depuis les points les plus méridionaux vers les Calabres, jusqu’au nord avec Turin et Venise : telles étaient les circonstances qui, en imposant la nécessité de s’entendre, allaient favoriser la création et l’adoption de la langue nouvelle. Il était réservé à la Toscane de donner son nom au nouvel idiome.

Les premiers monumens écrits de la langue vulgaire (c’est ainsi qu’on l’appela jusqu’à la fin du XVIe siècle) remontent au XIe siècle ; mais, dès le Xe, les lettrés en font usage. Ce n’est que beaucoup plus tard que Dante résumera les efforts d’un certain nombre de ces devanciers dont on a gardé les noms. Il emploie d’abord cette langue vulgaire sans en définir les termes et la portée ; il lui donne l’autorité de son génie, et il faut la comprendre si on veut éprouver les grandes émotions. Bientôt il l’analysera et lui donnera son état civil en la déclarant : illustre, cardinale, aulique et curiale. Dans son livre de l’Éloquence vulgaire, il ne veut point qu’on dise que ce qui sera un jour l’italien appartient à une province plutôt qu’à une autre, et le plus grand des Florentins n’a jamais réclamé pour la Toscane le superbe privilège d’avoir dégagé de tous les idiomes la langue définitive de l’Italie. « Dante, dit M. Gebhart dans ses Origines de la Renaissance[1], n’a pas inventé l’italien comme un sculpteur forme sa statue ; mais la marque de son génie est si profonde sur l’œuvre ébauchée par ses devanciers, que c’est justice de le proclamer le père de la langue italienne. » Francesco da Barberino ajoutera encore à l’œuvre du poète de la Divine Comédie, en disant hautement qu’il ne faut répudier pour la formation de la langue vulgaire aucun des dialectes de la Péninsule, mais qu’il faut choisir les beaux vocables, les plus expressifs, les plus harmonieux et rejeter tout ce qui n’a point belle consonance. Pétrarque et Boccace viendront ; la langue, avec eux, s’assouplira encore, elle se prêtera aux grâces du récit, à ses vivacités ; les dialecticiens, enfin, la façonneront à la rapidité de la discussion, à la subtilité de l’analyse et des argumens. La poésie, l’histoire, la critique, la chronique, la science ont trouvé désormais leur formule ; et Sacchetti, Guicciardini, Machiavel et Laurent le

  1. Les Origines de la Renaissance, par Emile Gebhart, professeur de littérature étrangère à la faculté des lettres de Nancy ; Paris, 1879, Hachette.