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qui leur étaient particulières, leur emprunter à Palerme et à Florence, avec les joutes et les tournois, je ne sais quelle élégance chevaleresque dans le geste, dans la forme et dans les pompes des cérémonies.

La maison de Souabe, en revendiquant le trône du César romain, n’exerçait à vrai dire sur l’Italie qu’une autorité purement nominale, précaire, intermittente ; et son génie était trop essentiellement différent de celui des Toscans pour laisser des marques évidentes de son passage. Mais l’énergie personnelle exerce toujours une grande action en Italie, et la culture extraordinaire de ce descendant de Frédéric Barberousse, qui s’appela Frédéric II, devait aussi laisser sa trace. Son règne est le prologue de la renaissance ; il faut peut-être lui attribuer une part dans cette tendance qu’eurent les Florentins à se détacher, dans l’œuvre de civilisation, de tout esprit d’intolérance. Il penchait plutôt du côté des Arabes que du côté de Rome, et c’en fut assez pour le faire accuser d’athéisme. Il fonda en 1224 l’université de Naples ; il parlait l’italien, le français, le grec et l’arabe ; il avait une mise élégante, et il était poète : assez exempt de préjugés pour admettre les Arabes à sa cour, pourvu qu’ils fussent lettrés ou savans ; c’était un éclectique qui avait pour secrétaire un musulman, pour médecin un juif d’Espagne, et pour métaphysicien un Anglais, Michel Scot. Il a donc pu représenter, dans l’apport de chaque race au génie italien, cet esprit de tolérance qui est un des cachets de la renaissance et qui la rendra suspecte à quelques esprits exaltés.

Quant aux Normands, qui s’étaient emparés de la Grande-Grèce enchâssant les Byzantins et les Sarrasins, prenant Messine, Catane, Palerme, et finissant par fonder des dynasties dans l’Apulie, dans les Calabres et en Sicile, tantôt auxiliaires des papes et tantôt des empereurs, ils représentaient une vaillante race sans doute, mais ils étaient plutôt faits pour subir une influence intellectuelle que pour laisser leur empreinte. Les très curieux monumens encore debout à Lucera, à Canosa, à Venosa, n’ont servi qu’à attester la réalité de cette extraordinaire épopée des Roger, de Robert Guiscard, des fils de Tancrède de Hauteville, et des héros de la Jérusalem délivrée ; si on veut, en en interrogeant la forme et le caractère, assigner une origine à ces constructions et à ces œuvres d’art en bronze et en pierre, on verra que ceux qui les ont élevées se souvenaient de l’Orient, d’où ils venaient alors, et qu’ils avaient emprunté aux Arabes qu’ils chassaient devant eux ou aux Byzantins, plutôt que de leur apporter un élément nouveau. M. François Lenormant, dont nous trouvions récemment les traces en étudiant ces curieux monumens de l’Apulie, a nettement accusé ces influences en commentant les inscriptions. Il ne fut donc point