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de la prise d’Alexandrie par le général romain, avait été pillé depuis sous Théodose. Peut-être même, à part ce fait néfaste du règne du Coran et de la suppression de la langue des Hellènes, les Arabes ont-ils été relativement des civilisateurs, là, comme ailleurs avec Haroun-al-Raschid et Boabdil. Mais les épreuves n’étaient pas finies, les Turcs ottomans, vainqueurs des Arabes en Asie, s’avançaient vers l’Europe et menaçaient de faire disparaître le dernier refuge des îles grecques où s’était abritée la langue. Cette fois, ce fut le christianisme qui la sauva ; il avait à se faire pardonner la ruine des auteurs anciens, il nous apporta en Occident les écrits des pères de l’église, nous révéla l’Évangile, que nous ne connûmes que dans le texte hellénique, et la langue grecque resta la langue liturgique de l’église orientale. Quand tout le territoire fut tombé sous le joug des musulmans, l’Occident fut un refuge ouvert aux exilés, qui lui transmirent l’héritage, et plus on étudie les causes du mouvement intellectuel en Italie, plus on se persuade que ces exilés furent les vrais initiateurs de la renaissance de l’hellénisme.

Avant la prise de Constantinople, qui dispersa les derniers savans grecs, les empereurs byzantins, menacés par les Turcs, cherchaient un appui dans le monde latin et rêvaient la conciliation des églises. Dans un concile tenu à Vienne en 1311, sentant la nécessité de trouver des négociateurs entre les deux églises, les évêques avaient ordonné l’enseignement de cette langue dans un certain nombre de villes d’Italie. De leur côté, les moines de l’ordre de Saint-Basile, fixés dans les Calabres, se servaient du grec comme langue liturgique et avaient le plus haut intérêt à effectuer la réconciliation de l’église d’Orient avec l’église d’Occident ; ils furent aussi les ardens promoteurs de l’instruction publique dans le sens des études helléniques.

Ce moine de Calabre, Bernard Barlaam de Seminara, qui fut le maître de Pétrarque, avait été l’un des intermédiaires entre les deux églises, et c’est ainsi que s’explique sa présence à la cour des papes à Avignon. La première chaire publique de grec est fondée à Florence en 1360 par son élève Pilate : c’est le premier pas, faible et hésitant, car on lit dans les lettres de Pétrarque que, de son temps, on compte à peine en Italie dix personnes qui comprennent Homère, non pas en le lisant dans le texte, mais dans la traduction latine.

Mais bientôt Manuel Chrysoloras, l’élève de Gémiste Pléthon, vient solliciter des secours en Italie contre l’envahissement des Turcs ; il se laisse enchaîner par tous ces esprits avides de science qui lui offrent un honorable asile, et en 1396, il occupe la chaire que Léonce Pilate a laissée vide ; on le voit successivement à Milan, à Paris, à Rome ; partout on se presse autour de lui pour