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une pure expression géographique, un pays idéal, où, à un des âges de l’humanité, s’était abritée la pensée humaine. C’était pour les Italiens une réalité bien vivante, une terre amie et voisine, dont on voyait à l’horizon de l’Adriatique s’échancrer les côtes bleuâtres. Chaque jour entraient dans leurs ports ces bâtimens venus de l’Hellespont, aux grandes voiles gonflées par le vent, bordées d’une grecque rouge, qui rappelaient par leur forme et leur couleur les nefs de l’antiquité. L’Italie méridionale d’ailleurs ne s’appelait-elle pas naguère encore la Grande-Grèce, et n’avait-on pas vu fleurir dans la Pouille et les Calabres une civilisation raffinée dont on retrouvait partout la trace ? Si le christianisme avait proscrit tout ce qui rappelait les païens, du moins la tradition subsistait-elle encore, et chaque jour découvrait-on les traces de cette civilisation, comme on constatait la présence de cette race d’élection qui avait fait souche dans les plus lointaines bourgades. Ces deux influences latine et grecque, mêlées ensemble, avaient préservé les Italiens de la ruine totale au point de vue intellectuel ; quant aux Florentins, ils étaient mieux disposés que tous autres à recevoir la culture, car, sur leur sol même, au lieu où s’élevait la cité des fleurs, la plus industrieuse et la mieux douée des colonies fixées dans la péninsule avant les Romains eux-mêmes avait laissé les plus profondes empreintes de son passage, avec des monumens d’art qui peuvent rivaliser encore aujourd’hui avec ceux de la Grèce et du XVe siècle florentin.

Quand l’Italie avait été conquise, Théodoric, Charlemagne, Lothaire, avaient eu souci des choses de l’esprit et de tout ce qui peut adoucir les mœurs et policer les hommes. Dès le VIIIe siècle, on avait vu paraître cet édit de Lothaire, où, fidèle à la politique du grand empereur, il fixait les circonscriptions scolaires, à Pavie, à Ivrée, à Crémone, à Turin, à Florence, à Fermo et à Vicence : et dans la nuit des époques sombres du Xe et du XIe siècle, on rallumait déjà le flambeau de l’érudition. Les moines de l’abbaye du Mont-Cassin aidaient à leur tour au développement ; ils copiaient déjà Aristote, Démosthène, Cicéron, Horace, Virgile et Lucrèce ; et ce n’était point par eux seuls que se faisait la révélation. C’était plutôt un réveil, car on se souvenait dans toute l’Italie méridionale, d’avoir entendu lire les poètes latins dans les amphithéâtres romains, et, au forum de Trajan, on avait vu des lettrés réciter des fragmens des auteurs classiques devant le sénat, qui donnait au vainqueur de ces luttes oratoires une couronne et un tapis d’or. La langue latine, qui, elle aussi, fut un instrument de civilisation, puisqu’elle était la clé d’or qui ouvrait le livre des belles pensées et du beau langage des aïeux, était encore assez répandue avant les premiers siècles de la Renaissance pour qu’on pût prêcher en latin dans certains centres de