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la limite même de ses talens, de son activité et de ses facultés. Mais d’autre part il semble qu’il y ait incompatibilité entre cette agitation politique constante qui régna du XIIIe au XVe siècle, et la germination d’une idée féconde et le développement d’une civilisation naissante.

Comment la fleur de la renaissance a-t-elle pu grandir au milieu des péripéties ardentes et incessantes de la commune ? Comment sa tige n’a-t-elle pas été brisée, foulée aux pieds, coupée jusque dans ses racines ? Dans Pise, dans Sienne, dans Pérouse ensanglantées, comment voit-on des penseurs et des artistes, au milieu de ces discussions continuelles et de ces guerres permanentes, réussir à s’absorber dans le recueillement nécessaire à la conception et à l’exécution des chefs-d’œuvre ? Non-seulement à Florence, mais dans toute l’Italie : à Venise avec le sénat et le grand conseil, à Milan avec les Sforza, à Mantoue avec Gonzague, à Ferrare avec Este, à Orbin avec Montefeltre, à Rimini avec Malatesta, à Naples avec Robert, puis avec Alphonse, et au Vatican avec les grands pontifes, comment la tyrannie d’un maître farouche, — de ceux qu’on appelait les tyrans, qu’on voit occupés à attaquer ou à se défendre, à agrandir leurs états et à spolier leurs voisins, échangeant nuit et jour de grands coups d’épée, — abrite-t-elle en même temps sous les murs de ces rudes forteresses tous les champions de l’idée, lauréats et pensionnaires, poètes qui chantent, artistes qui créent, savans et philosophes qui méditent ? Ces mêmes tyrans mènent le chœur, et on les voit, tout bardés de fer, descendre dans l’arène pour conquérir le vert laurier.

C’est que l’Italie n’avait pas à faire le même effort que les autres peuples de l’Europe pour échapper à l’état de torpeur où ils étaient plongés à l’époque du moyen âge. On pourrait, après tout, écrire l’histoire de l’illustration des cinq ou six siècles qui suivirent l’invasion des barbares ; et cette époque, néfaste partout ailleurs en Europe, a encore en Italie son illustration relative. Les monumens dont les Romains avaient couvert le sol étaient toujours debout ; Rome était restée quand même un foyer où le feu sacré couvait sous la cendre ; les brutales invasions n’en avaient pas éteint jusqu’à la dernière lueur. Tous ces arcs de triomphe, ces thermes, ces colonnes votives, ces panthéons, ces amphithéâtres, ces temples orgueilleux encore sous la mousse et la lèpre, et qui empruntaient une beauté nouvelle à leur aspect de ruines, attestaient une grandeur passée dont on pouvait se souvenir au premier moment de calme et de pacification. C’était une chaîne entre l’Italie ancienne et l’Italie nouvelle ; et, dans la pensée de tous, la grandeur d’autrefois pouvait éveiller l’espoir et l’idée d’une grandeur à venir. Cette Grèce qu’on avait vaincue et qui s’était vengée de l’asservissement en imposant à son tour son joug intellectuel au vainqueur, n’était pas