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J’ai dit que les deux armées se trouvaient à portée de trait. Les Macédoniens, à leur tour, poussent leur cri de guerre. L’immense clameur fait trembler la montagne ; l’écho la répercute au loin de gorge en gorge. Alexandre, le premier, se précipite à toute bride vers le fleuve ; les escadrons s’élancent à sa suite et vont donner sur la gauche des Perses. Tout se débande et fuit. Le fleuve sur ce point était facilement guéable ; au centre, la phalange a rencontré des bords plus escarpés ; elle a même trouvé devant elle une longue et épaisse rangée de palissades. Semblable à la vague qui s’écrase et déferle en touchant le sable du rivage, la phalange, brusquement arrêtée, rompt ses rangs. Les mercenaires grecs à la solde de Darius la surprennent au milieu de son désordre. Ces soldats stipendiés étaient au nombre de 30,000, tous animés par la haine qu’ils portaient aux Macédoniens. Le choc en cet endroit fut terrible. Ptolémée, fils de Séleucus, et 120 Macédoniens de distinction y perdirent la vie. On combattait de près, corps à corps, non plus avec les piques devenues inutiles, mais avec les épées. L’aile droite, que conduisait en personne Alexandre, venait heureusement de refouler le corps qui lui était opposé ; au lieu de se laisser entraîner à une vaine poursuite, elle se rabat en masse sur le flanc des stipendiés. Cette troupe d’élite se voit en un clin d’œil enveloppée ; on ne lui accorde pas de merci. La droite des Perses se trouve alors complètement découverte. De ce côté aussi, les troupes de Darius avaient eu, pendant un certain temps, l’avantage ; leur grosse cavalerie toute bardée de fer fit fléchir, assure-t-on, les Thessaliens. Ce corps victorieux ne sait pas résister au spectacle de la déroute qui vient de se produire au centre ; sa retraite est le signal d’un épouvantable carnage. « Le sort d’une bataille, a dit Napoléon, est le résultat d’un instant, d’une pensée. On s’approche avec des combinaisons diverses, on se mêle, on se bat un certain temps ; le moment décisif se présente, une étincelle morale prononce, et la plus petite réserve accomplit. »

Alexandre ne cherche au milieu de la mêlée que Darius. Il le découvre enfin : Darius s’est dressé debout sur son char ; de sa haute stature il domine, comme l’image de la patrie en détresse, la plaine ensanglantée. Un rempart vivant le couvre encore ; Oxathrès s’est jeté avec sa cavalerie devant le souverain, qui ne peut se résoudre à fuir. Pareil au léopard qu’on voit rôder, l’œil en feu et la langue pendante, autour du corral, Alexandre use en vain ses griffes sur les barreaux de la généreuse enceinte. Il y eut là une magnifique mêlée, une lutte suprême, dont peut s’honorer à bon droit la défaite. Des satrapes qui avaient jadis commandé des armées combattirent en simples soldats. Atizyès, Rhéomithrès, Sabacès, gouverneur de l’Égypte, payèrent de leur