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profondeur, Alexandre, tant que le passage reste, étroit, laisse les corps s’écouler l’un après l’autre, sur un front de trente-deux files au plus ; aussitôt que la gorge s’évase, il développe peu à peu ses troupes, pousse insensiblement l’aile droite vers la montagne, l’aile gauche. vers la mer. Il est telle formation qui s’enfonce dans l’armée ennemie comme un coin ; la phalange de Philippe agit à la façon de la hache. Le premier rang, composé des lochages, renferme les hommes les plus grands, les plus courageux, les plus robustes. C’est le tranchant du fer qui doit entamer l’obstacle, la multitude placée en arrière ne lui ajoute que la puissance du poids. Tel était l’avis de Xénophon, et tel fut aussi le conseil que me donna maintes fois au Mexique le général Prim : « Si nous devons en venir aux mains avec l’armée de Zaragoza, me disait-il, mettez en avant les zouaves ! Ils entameront l’ennemi, le reste passera par la trouée. » Je ne sais si le général Prim avait raison ; mais il est certain que, dans la tactique ancienne, toutes les évolutions se pliaient généralement à cette règle : maintenir en tête les lochages. Il en résultait souvent une grande lenteur et la nécessité de manœuvrer par une série de contre-marches.

Darius n’avait assurément pas choisi la plaine d’Issus pour champ de bataille ; il y fut surpris. Les dispositions qu’il adopta eurent pour objet de parer autant que possible aux inconvéniens de cette surprise. Pour le guider dans le grand conflit, il lui restait encore un excellent conseiller : le transfuge Amyntas, qui avait été, avant sa défection, un des meilleurs lieutenans d’Alexandre. Ce fut probablement aux avis de cet officier qu’il dut l’adoption des mesures que tous les historiens ont unanimement approuvées. Les hauteurs que les Macédoniens, pour engager l’action, seront obligés de laisser à leur droite, sont d’abord très fortement occupées ; le gros de l’armée, avec les immortels, est rangé derrière le lit du Pinare. C’est là que se tient Darius, monté sur son char de guerre. En avant du fleuve, il a laissé, pour couvrir son front de bataille, 30,000 chevaux : et 20,000 hommes de trait. L’arène est étroite ; par compensation, elle offre aux Perses l’avantage de pouvoir en barrer facilement l’accès. De la mer aux montagnes, les Macédoniens chercheraient en vain une fissure, un point faible. Tout est compact et d’une épaisseur à faire reculer des gens moins hardis. La cavalerie des Perses a déployé ses nombreux escadrons sur la plage., Alexandre lui oppose, avec les Thessaliens, la cavalerie de Parménion. S’il est un danger contre lequel doive se prémunir soigneusement le chef de l’armée macédonienne, c’est assurément le danger d’être débordé par les troupes postées sur les hauteurs et qui menacent d’une attaque soudaine son flanc droit. Il lui faut donc disposer une partie de son aile droite en potence et faire face aux