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venu l’interrompre, qu’il eût continué sa marche vers l’ouest et qu’il eût fait promptement rentrer dans le devoir toute la Cilicie. Il s’était emparé d’Issus, y avait massacré les malades laissés par les Grecs, et, dès le lendemain, campait sur les rives du Pinare. Il n’y avait alors entre les deux adversaires que la largeur du golfe, — 18 milles marins tout au plus, — mais il y avait aussi les Pyles syriennes. Ces portes célèbres s’ouvraient sur un sentier taillé en corniche dans le flanc du mont Amanus. On chercherait vainement aujourd’hui les vestiges de ce chemin suspendu dans les airs ; la corniche s’est écroulée depuis cette époque, et il ne reste plus aux caravanes d’autre route que le col de Beylan, ce col qui livra passage aux troupes de Darius et qui fut si résolument enlevé en 1834 par Ibrahim.

L’arrivée inattendue de Darius dans le golfe d’Issus y avait répandu trop d’effroi pour qu’Alexandre n’en fût pas promptement informé. Il refuse d’abord d’ajouter foi à une pareille nouvelle. Que viendrait faire Darius dans la Cilicie quand sa flotte est dissoute, quand la citadelle d’Halicarnasse que défendait, il y a quelques jours encore, le Perse Orontobate, s’est rendue à Ptolémée ? Darius n’a pu se séparer ainsi à la légère des ressources qui lui restent ; il n’a pu se mettre en campagne à cette époque avancée de l’année, après avoir laissé s’écouler sans faire un mouvement le printemps et l’été. Les messagers cependant se multiplient : Darius est là ; on a vu son armée descendre comme une avalanche dans la plaine, ce n’est que par une fuite rapide que quelques cavaliers sont parvenus à échapper à ses coureurs. Alexandre ne se laisse pas encore convaincre ; il lui faut des témoignages plus certains. A la guerre, si l’on se fiait à toutes les émotions, on marcherait de méprise en méprise. Le roi de Macédoine fait appeler un certain nombre de ses fidèles hétaires ; ce sont leurs yeux seulement qu’il en veut croire. Il leur confie une triacontère, navire non ponté et rapide, qui arme quinze avirons de chaque bord. Les hétaires se glissent le long du rivage, s’aidant de toutes les sinuosités pour dérober leur barque à la vue de l’ennemi. Plus de doute ! le camp des Perses occupe et couvre tout le fond du golfe. Alexandre a pris son parti sur-le-champ. Les défilés qu’il a franchis pour entrer en Syrie seront-ils au moins demeurés ouverts ! Une troupe choisie de cavaliers et d’archers va les reconnaître : le passage est libre ; d’un instant à l’autre, il peut se fermer. Alexandre décampe au milieu de la nuit ; dès qu’il a occupé les crêtes, il fait reposer son armée. Il ne lui reste plus qu’à déboucher dans la plaine, chose assez périlleuse encore, si l’ennemi prévenu l’attend au pied même des montagnes. Une armée grecque, dans l’ordre à rangs serrés, occupait un front de plus d’un kilomètre sur 16 mètres environ de