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qui ont dévoré les villes. L’arène même de la grande bataille a disparu ; on la reporte, incertain, d’une vallée à l’autre.

Alexandre s’est mis en marche : Philotas, avec la cavalerie, se répand dans la plaine comprise entre le Cydnus et le Sarus ; Alexandre se rapproche davantage du rivage et franchit le Sarus à son embouchure même. Il tourne ensuite le promontoire Mallus, — le Cap Karadagh ? — et traverse le delta du Pyrame, comme il a traversé celui du Sarus. Toute l’armée ne tarde pas à être réunie dans la vallée qu’arrose le Pinare. Ce nouveau cours d’eau n’est pas un fleuve comme les deux autres, il mérite à peine le nom de torrent ; on ne pourrait même pas le comparer au Granique. J’ai visité le golfe d’Alexandrette en 1832, lorsque les Turcs y attendaient leur flotte ; l’impression qui m’est restée de ces parages à peine entrevus est celle d’un fond noir et d’une muraille abrupte. L’imagination la plus hardie n’eût jamais songé à chercher dans cet entonnoir le théâtre d’une grande bataille. La chaîne du Taurus, en effet, se courbe, à partir du cap Mallus, pour aller se rattacher par un demi-cercle de montagnes à l’Amanus de la plaine où les Turcs ont bâti le village de Misais, on passe, en suivant le pied de ce contre-fort, dans une autre plaine encore plus resserrée, que bordent, séparés par un vaste marais, les deux bourgs d’Ayas et de Pias. C’est là, suivant l’opinion qui a généralement prévalu, que se sont rencontrées, le 29 novembre de l’année 333 avant notre ère, les armées de Darius et d’Alexandre. Il a fallu un concours de circonstances des plus singuliers pour qu’elles s’y rencontrassent. Si nous n’avions été nous-mêmes témoins en Crimée d’un croisement analogue, le jour où l’armée des alliés, venant de l’Aima, descendit des hauteurs de Mackensie et où les troupes russes remontèrent de la vallée d’Inkermann à Symphéropol, nous aurions peine à comprendre l’ignorance mutuelle dans laquelle les Perses et les Grecs paraissent avoir été, à cette époque, de leurs mouvemens. Darius s’est décidé à quitter les plaines de la Mésopotamie et à marcher sur Tarse ; Alexandre, au même moment, s’apprête à marcher, par la vallée de l’Oronte, sur Antioche. Il soupçonne si peu les intentions de l’ennemi qu’il n’hésite pas à laisser ses malades à Issus. Les Pyles syriennes n’étaient pas gardées, l’armée grecque s’y engage et, descendue sur l’autre versant, s’arrête, comme l’avait fait l’armée de Cyrus, au bord oriental du golfe, à Myriandre. Les pluies d’automne menaçaient déjà d’entraver les opérations ; un orage épouvantable retint Alexandre dans son camp. Sans cette contrariété imprévue, la distance entre les deux armées se fût augmentée encore. Darius, en effet, débouchait par le pas Amanique, — le col de Beylan, — dans la vallée qu’achevait à peine d’évacuer Alexandre ; il est probable, si rien ne fût