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besoin, ou, se ramassant tout à coup sur elle-même, se concentre, dans l’espace de quelques minutes, en un corps si compact qu’on a vu les chariots et les quartiers de roches rouler inoffensifs sur ses boucliers ? Il vous faut avant tout éviter ce choc redoutable et ne livrer bataille que sur un terrain qui laisse une retraite facile à vos soldats. » Ce n’est pas sur ce ton qu’on parle au maître de l’Asie. Tous les historiens se sont accordés à rendre justice au caractère facile et doux de Darius ; ce prince ne peut cependant entendre sans indignation traiter avec un pareil mépris son armée. Son courroux déborde, et le courroux du roi en Asie, c’est pour qui le provoque le supplice. Le châtiment boiteux étend enfin la main sur l’incorrigible parjure ; Charidème est livré aux bourreaux le jour où, pour la première fois peut-être, il émet un avis sincère. « Alexandre me vengerai » telle est sa suprême parole. Je veux bien croire qu’Alexandre est chargé de punir Darius ; il n’a pas, à coup sûr, la mission de venger Charidème.

L’heure décisive approche : le roi de Perse a traversé l’Euphrate ; Alexandre aura bientôt achevé de réduire la Cilicie. Soli, dont il ne reste plus aujourd’hui que deux jetées à fleur d’eau et quelques débris de colonnes, Anchiale, où fut, dit-on, le tombeau de Sardanapale, ont cédé à ses armes ; il peut sans crainte songer à pénétrer dans la vallée de l’Oronte.


III

Deux branches du mont Taurus embrassent la plaine qui s’étend entre Tarse et Adana ; franchissez la branche orientale, vous verrez s’ouvrir devant vous le golfe d’Issus. La victoire va imposer à la vaste baie un autre nom ; les géographes l’appelleront bientôt le golfe d’Alexandrette. Le golfe d’Issus commence au-delà du Sarus et du Pyramus. Quelle œuvre déplorable font les fleuves quand on les laisse conduire leurs dépôts à leur guise ! Ils comblent les ports, enfouissent les villes autrefois florissantes, convertissent les campagnes fertiles et salubres en marais. On prendrait goût aux digues rien qu’à contempler les tristes effets d’un pareil désordre. Quoi ! ce grand bassin ovale qui, du cap Karadagh au cap Khynzir, s’enfonce de 40 milles marins dans les terres, a vu autrefois sur ses bords les cités de Mallus et d’Issus ! Ces rivages pestilentiels où couve incessamment la fièvre ont jadis porté de riantes et fécondes moissons ! Des peuples heureux ont habité au pied de ces montagnes ! On ne s’en douterait guère aujourd’hui. Les bourgs d’Ayas, de Pias, la chétive et misérable ville de Scauderoun ne racontent rien de la splendeur passée. S’il existe des ruines au milieu de ces marécages, il faudrait les chercher sous les alluvions