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multitude ? La ranger dans une vaste plaine où elle puisse au moins se développer. Ce fut, assure-t-on, la première pensée de Darius. Le roi de Perse ne manquait pas de conseils. Les tacticiens grecs, dont il avait pris soin de s’entourer, ne sauraient sans doute être comparés aux tuteurs légaux qu’on donna en 1839 à Hafiz-Pacha ; quelques-uns cependant n’étaient pas sans mérite. Le plus considérable fut, à coup sûr, l’Athénien Charidème. Alcibiade et Cléarque avaient fait école et l’on rencontrait partout de ces capitaines d’aventure dont l’épée était prête à servir toutes les causes. « Je paierai mes dettes quand je reviendrai d’Égypte, » disait le fils de Conon, Timothée. Agésilas lui-même, un roi ! était allé mourir en Libye, au moment où, plus qu’octogénaire, il revenait d’une véritable expédition de pirates. Débarqué de l’Eubée, d’où sa famille tirait son origine, Charidème servit d’abord, en qualité d’archer, dans les troupes athéniennes. Le métier ne lui semble pas assez lucratif. Avec l’aide de quelques bandits, il trouve moyen d’équiper une sacolève, — listrikon plion. — Il court alors les mers, pillant et rançonnant les alliés d’Athènes. Quand il s’est ainsi procuré des fonds suffisans, il recrute des soldats en Thrace et vient offrir ses services à la république. On les accepte. Athènes avait besoin de ces troupes étrangères pour défendre les colonies que lui disputait Philippe. Iphicrate a été révoqué, et c’est à Timothée qu’est remis le soin de reprendre Amphipolis et la Chersonèse. Le fils de Conon se rend immédiatement sur les lieux. Où sont les otages qu’ont livrés les Amphipolitains ? Iphicrate ne les a-t-il pas laissés à la garde de Charidème ? Sans aucun doute, mais Charidème a jugé à propos de les rendre. « Ame vénale, tu nous as trahis ! » Charidème dédaigne de se justifier ; le jour même il abandonne le camp. Puisqu’il est à vendre, il se trouvera toujours des gens pour l’acheter : Kotis, le roi de Thrace, d’abord, puis les Olynthiens. Il s’embarque à Cardia et, pendant le trajet, tombe au milieu de la flotte d’Athènes. Le voilà prisonnier. Va-t-on lui faire enfin expier ses trahisons ? Pas le moins du monde ! On lui pardonne tout : les otages livrés, les galères enlevées et conduites à l’ennemi. On enrôle de nouveau sous les drapeaux de la république cet aventurier qui les a deux fois désertés. Charidème d’ailleurs ne restera pas longtemps fidèle au contrat : nous le retrouvons tout à coup en Asie. Les satrapes, les rebelles, s’y disputent son concours ; Charidème le promet à tous et ne l’accorde complètement à aucun parti. Il assiège les villes, dévaste les campagnes, s’entend avec le tyran de Phères, avec Abydos, l’éternelle ennemie d’Athènes, et finit par s’emparer du gouvernement de la Thrace. Céphisodote, Chabrias, Charès, sont tour à tour dupes de ses artifices. Charidème possède une armée, les généraux athéniens n’en ont pas. Cette industrie coupable