Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/797

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez grande distance de la mer, l’arête méridionale du massif ; il s’élève ainsi jusqu’aux sources du Méandre et, de la vallée du Méandre, se porte à la tête de la vallée qu’arrose le Sangarius. C’est là que fut bâtie Gordium, l’ancienne capitale de la Phrygie. Alexandre y tranche le nœud gordien, et Parménion y rejoint Alexandre ; la conquête de l’Asie est assurée.

Elle est assurée surtout parce qu’Alexandre a bien compris l’oracle. Quel peut-être, en effet, ce nœud inextricable qu’il faut dénouer pour mériter l’empire ? Est-ce bien le lien d’écorce qui fixa jadis au timon le joug du char de Midas ? Ne s’agirait-il pas plutôt des puissantes attaches qui arrêtent si longtemps un peuple conquis dans les liens du passé ? Alexandre eut l’art de rompre ce tissu de vieux souvenirs en le traversant bien moins du revers de son épée que du tranchant d’une civilisation nouvelle. Je reconnais encore là un trait de ressemblance entre lui et Napoléon. Les Grecs possédèrent comme nous, la vertu sympathique et le don d’assimilation. Semblable privilège n’appartient pas à toutes les races. Les Anglais ont occupé la Sicile presque aussi longtemps que nous avons gardé l’Italie : croit-on que les deux peuples aient laissé derrière eux des traces également profondes de leur passage ? La vaste péninsule que l’Euphrate borne à l’est et que la mer environne sur les trois autres faces se laissa promptement pénétrer par l’élément grec. Il est permis de supposer que ce résultat n’eût point été obtenu si la conquête avait eu la main maladroite.


II

De Gordium Alexandre marche sur Ancyre. Voilà bien la plaine où Bajazet, en l’année 402 de notre ère, rencontrera le terrible Tamerlan, plaine nue, dépouillée d’arbres, mais fertile en gras pâturages. Il ne s’agit plus que de traverser l’Halys et de gagner par la Cappadoce les Pyles ciliciennes. Que de fatigues comprises dans ces quelques mots ! On ne peut s’empêcher de remarquer ici que les défilés les plus inexpugnables n’ont jamais arrêté une armée, bien que l’empereur Napoléon considère les montagnes comme la meilleure des frontières après les déserts. Cyrus le Jeune et Alexandre ont forcé avec un égal succès les gorges qui devaient les conduire dans les plaines de la Cilicie. Après avoir gravi les pentes par lesquelles on arrive au sommet de la chaîne Taurique, ils ont probablement suivi la vallée encaissée et sinueuse qu’ont creusée, non loin d’Adena, les eaux du Sarus. Tous deux ont jugé nécessaire de s’arrêter à Tarse pour y donner quelques jours de repos à leurs troupes.

Je ne sais qui raconte qu’Alexandre, arrivé sur les bords du