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compagnons qui le suivaient. Il donne l’ordre de vendre comme esclaves, dans un état de nudité complète, les premiers prisonniers qui lui sont amenés. « Qu’en pensez-vous ? dit-il à ses soldats, sont-ce là des guerriers ? Ces corps blancs et obèses, ces chairs molles et flasques, vous montrent assez à quels ennemis vous avez affaire. Marchez sans crainte à la conquête de l’Asie ; vous n’aurez à combattre que des femmes. » Ce fut à Daskylium, sur les bords de la Propontide, au fond du golfe qui porte aujourd’hui le nom de Mondania, que le devancier d’Alexandre voulut prendre ses quartiers d’hiver : il s’y installa au milieu des parcs de Pharhabaze. Le fils de Philippe dut, selon moi, partir également de Daskylium où l’avait précédé Parménion ; plus heureux que le roi de Sparte, nul ordre impérieux ne vint arrêter son vol. Laissant le Mont-Olympe sur sa droite, il franchit le col du Pédase et s’abat sur la capitale de la Lydie. — On pourra contester cet itinéraire, trouver la pointe faite sur Daskylium inutile : qu’on examine attentivement nos cartes modernes ; peut-être arrivera-t-on à partager mon avis. — De Sardes, Alexandre descend par la vallée du Caystre sur Éphèse. Tout le littoral l’attend comme un libérateur. Les villes de l’Ionie ont connu deux tyrans : le roi de Perse qui les abandonnait en proie à ses satrapes, Sparte qui leur imposait ses harmostes. A Milet, à Halicarnasse, il faut combattre encore les mercenaires grecs que le grand roi a pris à sa solde ; nulle part, jusqu’au promontoire sacré, jusqu’à cette limite où la langue d’Homère cesse d’être comprise, le vainqueur du Granique ne voit les populations s’associer à la résistance de leurs maîtres. Le gouvernement oligarchique succombe ; Ioniens et Doriens applaudissent avec un égal enthousiasme à sa chute. Partout où il se présente, Alexandre rétablit l’état populaire. Il n’a, comme Duguesclin assistant à la lutte d’Henri de Transtamare et de Pierre le Cruel, qu’à faire un léger effort pour mettre dessus ce qui était dessous. Quelle différence s’il s’était trompé et eût accordé son appui à la cause frappée d’une irrémédiable impuissance !

le discernement est la première vertu de la conquête ; ne l’oublions pas quand nous nous occuperons d’organiser définitivement l’Algérie. Remis par la paix générale en possession de Java, les Hollandais ont heurté, en 1816, des préjugés dont ils appréciaient mal la force ; il en ont été punis par une longue et dangereuse révolte. La leçon leur a profité, et je ne crois pas qu’ils songent de longtemps à toucher à ces prérogatives tyranniques qu’un peuple séculairement asservi fut le premier à défendre contre ceux mêmes qui l’en voulaient affranchir. Je ne dis pas que toutes les formes de gouvernement se valent ; je crois seulement qu’il importe de ne point commettre de méprises et que ce peut être une faute de