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du peuple. D’ailleurs, les difficultés ne doivent pas faire douter du succès : qu’on n’oublie pas que l’opinion publique est irrésistible ; à une chambre élue par la couronne et l’aristocratie, elle a pu arracher en Angleterre la réforme de 1832, qui détruisit l’influence électorale de l’une et de l’autre. L’Espagne n’aurait pas plus de peine pour arracher à une chambre nommée par les ministres des mesures qui mettraient fin à leurs excès de pouvoir.

La presse aura aussi un rôle important à jouer dans cette œuvre de régénération : mais il faudrait qu’elle commençât par se réformer elle-même. À Madrid, le plus fort tirage est celui d’une fouille sans opinions, sans rédaction, ne publiant que des nouvelles et des faits divers, généralement mal écrite, insignifiante si elle ne faisait tant de mal par ses flatteries invariables envers tous les ministres. Le prix minime auquel se vendent les journaux, un sou pour la plupart, ne permet pas de les faire bons. À part quelques-uns qui ont un nombre suffisant d’annonces de commerce, ils ne peuvent vivre sans la subvention directe d’un parti ou d’un personnage et la subvention déguisée en insertions d’annonces de la banque, des compagnies de chemins de fer et autres sociétés. L’annonce industrielle existe à peine. Le principal caractère de ces journaux, c’est qu’à côté d’articles écrits avec l’esprit le plus acéré, mais toujours sur des questions personnelles, on note une insuffisance sensible dans les questions d’utilité publique. Quant à la politique, plusieurs la traitent avec beaucoup d’habileté et de talent, mais toujours généralisant, dogmatisant, s’étendant sur les grands principes sans toucher jamais aux points pratiques, moins brillans et plus difficiles. Aucun ne publie d’articles de bourse ; la plupart impriment le cours des valeurs avec la plus superbe insouciance de l’exactitude des chiffres. L’absence de renseignemens précis et véridiques en cette matière est un signe déplorable du défaut de toute activité commerciale. La presse sert surtout d’échelle à l’ambition personnelle : c’est un des moyens les plus sûrs pour faire rapidement une carrière politique. Chaque personnage marquant a une feuille au moins à sa dévotion, et quand il arrive au pouvoir, il fait pleuvoir sur les rédacteurs les faveurs de toute sorte : les plus importans partent pour les ambassades, les autres cumulent un emploi du gouvernement avec la continuation du journal. En un mot, la presse espagnole a été faite à l’image des partis qui s’en servent, avec tous leurs défauts et leurs vices. Le pays les a laissés, en ceci comme en tout le reste, travailler à leur guise et ne s’est point inquiété de ses propres intérêts. Aussi n’est-il point représenté dans la presse, pas plus qu’il ne l’est au parlement.

Le public doit avoir un journal à lui : ce journal, il l’aura dès