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changement, on a pu l’observer en France. En Espagne, l’instinct est le même, mais l’apathie étant plus forte, les passions plus violentes et l’éducation politique moins avancée que dans d’autres pays, l’opinion se met parfois en contradiction avec cet instinct. Ainsi avant 1868, elle se laisse affoler et désire avec ardeur un changement radical dont elle attend de grands avantages, apprenant plus tard à ses dépens que les deux mots sont rarement synonymes ; puis, la leçon reçue, elle redevient conservatrice à rebours, c’est-à-dire se laisse égarer par les partis dits conservateurs, à ce moment-là véritables révolutionnaires, et finit par souhaiter passionnément la restauration. Ces erreurs de la masse ne détruisent pas cependant le fait principal, dominant, de son attitude conservatrice. C’est seulement lorsque les fautes des gouvernemens réguliers deviennent intolérables qu’elle se fait le soutien des idées subversives et convertit une insurrection en révolution. Ainsi s’explique la différence entre les mouvemens de 1854, 1856, 1866 et 1867, qui ne réussirent pas ou altérèrent à peine la surface, et la révolution de 1868, qui eut de si profondes conséquences. L’opinion, qui n’avait pas pris part aux premiers, sanctionna la dernière. Au lieu de ces longs intervalles de résignation pendant lesquels elle supporte tout, coupés de secousses spasmodiques où elle passe à l’extrême agitation, ce qu’il faudrait, c’est une action constante qui empêchât de nouveaux abus et détruisît graduellement les anciens. Par malheur, cette conduite ne semble pas du goût des populations impressionnables du Midi, qu’un effort violent n’effraie pas pourvu qu’il promette ensuite la jouissance d’un long repos ininterrompu. Ainsi les Basques, à qui la conscription et l’impôt dans une mesure modérée semblent intolérables, donnent avec plaisir au carlisme toutes leurs rentes et toute leur population valide et sacrifient en quatre ans plus que le gouvernement espagnol ne leur prendrait en un quart de siècle. Néanmoins, qu’elle soit ou non antipathique au pays, cette persévérance de tous les instans peut seule amener le salut.

A tout mouvement politique un point d’appui est nécessaire. Si l’Espagne doit inaugurer sa régénération, il est heureux pour elle d’être en monarchie. Sous une république le point d’appui pour résister aux hommes politiques manquerait de la fixité que donne le régime monarchique. Il faut que le pays s’allie étroitement au roi comme les communes de France s’allièrent à la couronne sous Louis VI pour vaincre la féodalité, dans cette longue lutte qui, commencée avec le XIIe siècle, ne se termine qu’au XVIIe avec Richelieu. La féodalité qu’il s’agit de vaincre aujourd’hui est pire que celle du moyen âge, parce qu’alors tout grand fief annexé à la couronne était un gain définitif pour la cause royale et populaire,