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aient jamais eu le droit de faire du parti conservateur deux fractions, l’une plus libérale, afin d’accaparer le pouvoir, en excluant de toute éventualité le parti constitutionnel. Du reste, on tirera difficilement du général un chef de parti.

Tels sont les hommes qui ont dans les mains les intérêts de l’Espagne. Pour achever de les faire connaître, il est essentiel de constater qu’ils sont, comme tous les Espagnols, absolutistes par tempérament. Un libéral véritable, qui respecte et fasse respecter l’opinion des autres au moyen de l’exécution des lois ne s’est pas encore rencontré. Si les conservateurs suppriment à coups d’autorité la moindre marque de désapprobation, les libéraux, y compris les plus avancés, sont les mêmes au fond ; la critique de leurs actes les irrite tout autant, mais gênés par leur profession de foi, ils exercent un despotisme indirect et effroyable en lâchant les foules et en leur assurant l’impunité. C’est ce qu’on a vu trop clairement lors de la révolution de 1868. Tous ces politiciens attendent leur tour des fautes de leurs adversaires plus que de leurs propres services. Combattre les mesures du gouvernement et le renverser légalement dans les chambres passerait pour purement chimérique, composées comme elles le sont. On ne poursuit qu’une chose, le pouvoir, afin de satisfaire ses amis et son parti et de leur livrer le pays comme une proie longtemps convoitée. L’Espagne n’est que trop fertile en politiques ; elle n’a pas eu encore, du moins dans l’époque moderne, un homme d’état.


III

Si cet homme ne se trouve pas, tout est-il donc perdu ? Loin de là ; il reste encore dans le peuple un fond solide de noblesse, d’honnêteté et d’énergie. Le pays n’a qu’à se défaire de l’excessive modestie qui lui a fait supposer, — on l’a aidé à le croire, — qu’il n’entend rien aux choses du gouvernement ; il doit avoir plus de confiance en ses propres lumières et se donner la peine de vouloir être bien gouverné. L’opinion a toujours été. la reine du monde ; sa force est absolument irrésistible. En Espagne elle ignore son pouvoir ; si elle le connaissait, elle aurait foi en elle-même et tout changerait d’aspect. Aujourd’hui on ne tente rien parce qu’on n’espère pas en l’avenir. Or en tous temps, en tous lieux, l’opinion impose des solutions qui des idées arrivent aux faits. La révolution de 1688 en Angleterre, celle de 1789 en France étaient d’avance accomplies dans les esprits ; l’Espagne même fournirait plusieurs exemples analogues. La masse est en général réfractaire au