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de ce programme qui méritait d’être sauvée : les droits individuels et le libre échange.

Aujourd’hui M. Martos se pose franchement en adversaire de la dynastie. Chose plus fâcheuse encore, dans une discussion récente à la chambre, rappelant d’un ton amer à M. Canovas le soulèvement de Sagonte, il s’est prévalu de l’allusion pour donner à entendre que tous les partis ont le droit de recourir à la force. Longtemps on a dit que les démocrates étaient résolument monarchiques, qu’ils voulaient de nouveau faire connaître au pays les douceurs de la monarchie élective ; il ne leur manquait que le candidat. Aujourd’hui les doutes sont levés, ce parti est devenu ouvertement républicain. En résumé, M. Martos ne veut pas accepter, sous la dynastie légitime, un portefeuille, auquel son incontestable éloquence lui donnerait droit. Et c’est pour satisfaire ces aversions, en quelque sorte personnelles, que l’on exposerait de nouveau le pays aux épreuves passées, à la guerre civile ?

Des démocrates aux républicains il n’y a qu’un pas. M. Castelar est un homme de cœur ; il a eu l’énergie la plus méritoire chez un personnage politique, celle d’abjurer publiquement ses erreurs. Il renie, au contraire de M. Martos, le recours à la force, il renonce à la fédération ; il aspire donc à une république unitaire obtenue par des moyens légaux. C’est déjà un grand pas de fait, mais celui qui s’est ainsi trompé, quelle garantie peut-il offrir qu’il ne se trompera pas de nouveau ? Ce doute serait peu généreux, si l’on ne tenait compte de la principale cause des erreurs de M. Castelar. Il a eu le malheur de s’être fait un nom trop jeune. Enivré par sa mélodieuse parole, emporté par sa facilité d’improvisation, il a touché avant l’heure à toutes les questions ; s’il eût attendu l’âge mûr, il penserait peut-être d’une autre manière. Par dignité maintenant et contre ses pressentimens, contre son tempérament même, il gardera la plupart de ses opinions. Un des sujets qu’il traitait de préférence était la fédération européenne, un pas vers l’unité universelle, et pour l’Espagne il était fédéral : c’est-à-dire que, contre toutes les lois de la logique et de l’histoire, il voulait marcher en sens inverse vers le morcellement, erreur qui a coûté au pays l’insurrection de Carthagène. Ne serait-il pas à craindre qu’il se laissât égarer de nouveau par des analogies à rebours, comme dans la question fédérale ?

Du général Martinez Campos il y a peu à dire ; lorsqu’il monta au pouvoir au mois de mars 1879, il s’avouait le continuateur de la politique de M. Canovas et bien que toute l’habileté de celui-ci n’ait abouti qu’à une rupture qui a conduit le général dans les rangs des constitutionnels, on ne peut admettre que ces deux personnages