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II.

Dans un pays ou les conditions élémentaires sont depuis longtemps satisfaites, où les questions à résoudre sont complexes et délicates, il peut être difficile de déterminer la marche du gouvernement. En Espagne, comme le disait récemment M. Waddington pour l’Égypte, un gouvernement très capable n’est pas nécessaire : les nécessités sont tellement évidentes, tellement primitives, que tout le monde doit les voir, tellement considérables qu’en de longues années on ne saurait y satisfaire. Dans un gouvernement constitutionnel et parlementaire, le principal rouage ce sont les chambres. Malheureusement, la chambre haute est impuissante là où elle n’a pas une origine distincte, indépendante, comme en Angleterre, là où il n’existe pas un grand respect de la loi, comme aux États-Unis. En Espagne, le sénat ne peut s’opposer à l’autorité ministérielle ; il ne l’a jamais tenté. Quant à la chambre basse, elle aussi en est arrivée à l’effacement absolu devant le ministre de l’intérieur. Tel est le ministre, tels seront les députés, socialistes aujourd’hui, carlistes demain ; l’opinion publique ne compte pas. L’absence de justice, l’arbitraire administratif, la centralisation extrême, l’habitude de la résignation dans le peuple, donnent au gouvernement des pouvoirs plus étendus qu’en aucun autre pays. A l’approche des élections, il peut changer à son gré préfets, juges, employés de toutes sortes, jusqu’aux municipalités et aux conseils généraux, accélérer ou retarder à plaisir la solution des recours administratifs, la rendre favorable ou contraire, fermer les yeux sur les contributions arriérées ou les exiger avec la dernière rigueur, accorder ou refuser les ressources nécessaires pour tous travaux d’utilité publique. Au besoin il aura recours à l’intimidation, à la violence, à la falsification du scrutin.

D’ailleurs, tous les partis sont également coupables de ces méfaits, les conservateurs comme les libéraux. On ne se souvient pas que jamais une opposition l’ait emporté aux élections ; constamment la majorité a été acquise aux ministres. Ceux-ci ont commis parfois la maladresse d’amener des chambres unanimes ; mais, plus avisés aujourd’hui ; ils veillent eux-mêmes à ce que les autres opinions y soient représentées. Les membres de l’opposition acceptent ainsi la complicité des actes de leurs adversaires ; partant, toutes leurs protestations contre les scandales commis aux élections manquent absolument de valeur, les leurs étant entachées du même vice d’origine. Cette chambre, élue par les ministres, est, comme de