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malheur à qui le dénoncerait ! Du reste, l’énormité des charges territoriales est trop prouvée par ce fait que, sur toute l’étendue du territoire, l’état saisit et vend nombre de propriétés rurales dont les possesseurs ne peuvent payer l’impôt ; le chiffre s’élève déjà à 175,000 parcelles ; dans quelques provinces, ces ventes prennent les proportions d’une calamité publique ; elles déterminent une émigration nombreuse au préjudice d’un pays déjà peu peuplé ; elles diminuent la classe des petits propriétaires, cet élément d’ordre social, et, en certaines conditions, de bonne culture, elles augmentent d’autant la classe des prolétaires en y jetant un violent ferment de haine contre le gouvernement qui les dépouille et les particuliers qui profitent de la situation pour exercer l’usure, à raison de 6 pour 100 par mois. Laisser vivre de pareils abus, c’est faire preuve d’un étrange aveuglement, car l’histoire démontre que le mécontentement agraire est l’origine la plus certaine de troubles profonds.

Quant à l’accroissement clandestin de la dette, autre ressource contre le déficit, le procédé le plus fréquemment employé est celui de l’emprunt sur gage, consistant en titres de la rente consolidée. Souvent émis sans autorisation, ces titres étaient engagés pour des opérations de crédit non autorisées non plus, à courte échéance et avec un intérêt exorbitant. Pendant la période révolutionnaire, la pénurie fut telle qu’en présence des exigences péremptoires de la guerre civile, le trésor en arriva à payer pour des prêts temporaires un intérêt de 100 pour 100 par an : amère ironie des faite, quand on se rappelle la fameuse phrase du général Prim, promettant « de l’argent qui ne coûterait pas d’argent. » Les démocrates, qui se vantaient d’une compétence spéciale en matière de finances, imaginèrent un système d’emprunts avec garanties spéciales y affectées. Les emprunts de ce genre sont relativement avantageux, car ils se font avec un intérêt modique, mais ils établissent un précédent. Les bons du trésor applicables au paiement des biens nationaux ont trouvé depuis leurs analogues dans les obligations sur la contribution. directe, sur les produits des douanes et dans la ferme des droits du timbre. Or si l’état engage ainsi de plus en plus ses revenus, avec quoi pourra-t-il entretenir l’administration ?

Pour être impartial envers les gouvernans, peut-être convient-il de se demander s’ils sont seuls responsables de leur insuffisance. Sans doute ils ont eu le tort de se croire à la hauteur d’une pareille mission, mais en somme, il faut l’avouer, ils sont bien de leur temps et de leur pays. Celui-ci en général ne connaît rien aux affaires, et il ne saurait en être autrement en l’absence de grands intérêts actifs et puissans. Dans certaines contrées, telles que les provinces basques,