Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerres, de ces agitations qui depuis plus d’un an ont eu le malheureux résultat d’émouvoir les croyances, de mettre toutes les passions aux prises, de susciter toute sorte de questions irritantes. De M. Jules Ferry est né l’article 7, et de la défaite de l’article 7 devant le sénat sont nés les décrets du 29 mars, comme de l’exécution des décrets est née la dernière crise. Tout se tient, et M. Jules Ferry est bien en vérité le président naturel dans la situation confuse qu’il a plus que tout autre contribué à créer. Seulement quelles vont être les conséquences de ces changemens d’hier ? Comment va procéder le cabinet qui vient de passer par une semi-métamorphose ? Dans quelle mesure prétend-il se maintenir ou s’engager ? Voilà la question qui est loin d’être éclaircie, qui ne pourra l’être plus ou moins qu’au moment où les chambres se trouveront réunies, où toutes les explications pourront se produire.

On ne voit pas bien en effet ce que se propose réellement ce cabinet renouvelé. S’il suit à peu de chose près la marche que le dernier ministère a suivie avant de se reconstituer, ce n’était pas la peine de faire tant de bruit, d’offrir au pays cette énigme d’une crise qu’il ne comprend même pas encore aujourd’hui, qu’il a vue passer avec une sceptique indifférence. S’il prétend se distinguer, accélérer la marche, aller en un mot jusqu’au bout, c’est alors que commenceront pour lui des embarras dépassant probablement ses forces, et qu’aux difficultés déjà assez nombreuses du moment viendront se joindre des difficultés croissantes, accumulées. Rien n’est plus facile sans doute que d’invoquer à tout propos, avec une sorte de superstition intéressée, les traditions de l’état, de revendiquer pour la république le droit d’appliquer les lois de tous les temps, — ces lois mémorables et insaisissables rappelées par les décrets du 29 mars ! On parle sans cesse comme si rien n’avait changé depuis près d’un siècle, comme si les idées et les habitudes de la liberté n’avaient fait aucun progrès, comme si le droit commun n’était pas devenu une garantie universelle et inviolable, comme s’il était désormais facile, au moins sans rencontrer de toutes parts des résistances, d’invoquer la raison d’état, d’appliquer des mesures de haute police pour cause d’opinion ou de religion. C’est une illusion redoutable, une prétention spécieuse. Tout s’est transformé à travers les révolutions ; nous vivons dans un autre monde, dans une autre société où rien n’est plus périlleux que d’engager ces guerres à outrance et sans issue contre des institutions toutes morales, où les ordres religieux eux-mêmes peuvent échapper aux poursuites en dépouillant le caractère corporatif et ont le droit de se défendre. On l’a déjà vu, on le verra encore, on n’est pas au bout parce que dans cette voie on n’est jamais au bout. Le tribunal des conflits, dit-on, prononcera souverainement. Oui, sans doute il décidera dans la mesure de sa juridiction et de ses droits libéralement interprétés. On