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Et maintenant, elle s’est sans doute dénouée tant bien que mal, cette dernière crise, qui est née d’une situation irrégulière, d’un ensemble de choses encore plus que d’un incident spécial. Elle s’est même dénouée, on peut le dire, sans exciter une émotion bien vive, presque sans intéresser l’opinion. Une fois qu’elle a été déclarée, M. le président de la république s’est visiblement préoccupé de la limiter, et M. Jules Ferry, qui a été chargé de reconstituer le cabinet, s’est borné à remplacer les ministres démissionnaires. On a donné un amiral pour successeur à un amiral au ministère de la marine. Aux travaux publics, M. Sadi-Carnot, déjà sous-secrétaire d’état, a eu de l’avancement et s’est substitué à son chef de la veille, M. Varroy. Une question autrement délicate était le choix de l’homme appelé à la direction des affaires congères à la place de M. de Freycinet. Ce n’était pas précisément facile à l’heure qu’il est, dans les circonstances assez confuses où se débat la diplomatie européenne. On paraît s’être adressé d’abord à notre ambassadeur à Rome, M. le marquis de Noailles, qui se trouvait pour le moment à Paris. M. de Noailles, qui est un esprit aussi droit que libéral, n’a point eu sans doute à hésiter beaucoup pour refuser. Il avait une réponse bien simple et décisive en dehors de toute autre raison : il n’appartient à aucune chambre, il ne pouvait, avec son nom, avec sa position et sa dignité naturelle, avoir l’air de se glisser subrepticement au pouvoir dans un interrègne parlementaire. C’était aussi simple que correct, et M. Jules Ferry, après quelques autres explorations inutiles, ayant avant tout besoin d’une garantie aux affaires étrangères, a demandé secours à M. Barthélémy Saint-Hilaire. On dit que c’est M. Grévy qui a eu le premier l’idée de ce choix aussi imprévu que rassurant pour la paix. Assurément M. Barthélémy Saint-Hilaire n’a pas été le dernier surpris de se trouver tout à coup à la tête de la diplomatie française. Homme de mœurs simples, d’intégrité et d’honneur, érudit voué à l’étude, à peine distrait de ses savans travaux par la politique, il a accepté en se couvrant devant le pays et devant l’Europe du nom de M. Thiers, dont il a été l’ami fidèle encore plus que le secrétaire, en se disant aussi que, lui présent au palais d’Orsay, personne au monde ne pourrait douter des intentions pacifiques de la France. M. Barthélémy Saint-Hilaire est le porte-respect, la caution extérieure du gouvernement reconstitué il y a quelques jours : c’est la seule signification de son entrée aux affaires.

Pour le reste, le cabinet demeure à peu près composé comme il l’était, avec M. Jules Ferry pour président, et nous n’en disconviendrons pas, quoiqu’un ministère présidé par M. Jules Ferry puisse paraître assez extraordinaire, c’est peut-être logique, c’est du moins plus net. Après tout, c’est M. Jules Ferry qui a engagé notre politique intérieure dans la voie où elle est aujourd’hui et lui a imprimé en quelque sorte son caractère. C’est le nouveau président du conseil qui a donné le signal de ces