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il n’a qu’à entrer au ministère et à être lui-même président du conseil ? il le peut et il n’a point d’autre rôle. Il a déjà peut-être trop attendu, il semble oublier qu’on s’use parfois hors du pouvoir autant qu’au pouvoir et qu’à laisser passer les occasions, on s’expose à ne plus les retrouver. Si M. Gambetta trouve que le gouvernement est insuffisant, que M. de Freycinet a été un ministre trop méticuleux dans la guerre au cléricalisme, que M. Cazot est un garde des sceaux trop respectueux pour l’indépendance de la magistrature, que la république ne marche pas assez vite, qu’il mette lui-même la main à l’œuvre bans plus tarder : il en a le droit, et M. le président Grévy ne lui refusera pas sans doute les moyens de déployer ses talens de premier ministre. Il y est d’autant plus obligé que, pour parler sérieusement, il est peut-être le seul qui ait assez d’ascendant pour discipliner une majorité incohérente. Qu’il accepte donc la responsabilité de la direction des affaires, des conseils, de la politique tout entière : il sera certainement suivi avec sympathie par les uns, avec curiosité par les autres, sans parti-pris d’hostilité par tous les esprits libres et désintéressés.

M. le président de la chambre des députés a un choix à faire. Se réserver pour une présidence de la république qui n’est pas vacante, qui ne le sera que dans six ans, cela n’est pas sérieux. Rester au Palais-Bourbon à ne rien faire, à écouter les flatteries et les banalités d’un entourage médiocre et subalterne, ce n’est certes pas digne d’un esprit qui se sent quelque ambition virile et l’énergie de l’action. Accepter franchement, résolument le ministère avec ses chances et ses responsabilités, c’est son unique rôle. S’il ne le fait pas, si, en refusant le pouvoir pour lui-même, il persiste à le rendre impossible pour les autres, il ne représente plus qu’une sorte de césarisme vulgaire, remuant, agitateur et stérile. Il reste ce qu’il est, une excentricité plus ou moins brillante, une importance sans emploi, une cause de trouble et un embarras dans le jeu des institutions. Il vient de le prouver une fois de plus par une intervention mal définie, mais sensible, dans cette dernière crise, qui a surpris le pays sans l’éclairer, qui a emporté M. de Freycinet en laissant à ses successeurs le fardeau d’une situation compliquée de difficultés de toute nature, intérieures ou extérieures. Ce qu’il y a de certain, c’est que M. Gambetta doit y prendre garde : il ne jouerait pas longtemps sans péril, sans risquer d’indisposer l’opinion, ce rôle d’un prépotent satisfait et encombrant, mettant la main à tout, donnant ou retirant l’influence, faisant ou défaisant des ministres et ne voulant pas l’être, dérobant sans façon une partie de l’autorité que la constitution réserve à M. le président de la république. Il s’exposerait surtout gravement devant le pays, il arriverait bien vite au bout de sa popularité s’il pouvait être soupçonné de préparer des aventures, de rêver des diversions batailleuses, d’engager la France dans des combinaisons où elle n’a rien à gagner ni à espérer.