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Waddington, au début de la session, pouvait se croire pour quelque temps hors d’affaire ; il venait de subir victorieusement le feu d’une vive discussion où il avait même triomphé sans faire trop de concessions. A peine avait-il son vote de confiance, brevet de courte vie, il disparaissait brusquement dans une crise venue, on ne sait d’où, et il était remplacé par un de ses collègues, M. de Freycinet, le favori du moment, le président du conseil sur qui l’on comptait. Aujourd’hui c’est M. de Freycinet à son tour qui est arrivé au bout de son étape et qui tombe en chemin, abandonne par la main protectrice qui l’a élevé. Il tombe en apparence devant une opposition intérieure dans le cabinet, et il est remplacé, lui aussi, par un de ses collègues de la veille. On paraît trouver toute simple et commode cette substitution périodique d’un premier ministre à un autre premier ministre sous prétexte que celui qui s’en va représente la minorité et que celui qui s’élève représente la majorité dans le conseil. On appelle cela le régime parlementaire ! Cela prouve tout simplement qu’on ne se fait pas même l’idée de ce que c’est qu’un cabinet dans l’ordre constitutionnel. Un ministère n’est pas un petit parlement. Il est un intermédiaire permanent, constitué entre le pouvoir exécutif et les chambres ; il a son existence propre, son rôle, sa sphère d’action, sa responsabilité, et c’est le président du conseil qui en personnifie la pensée directrice, qui représente la politique générale, qui en définitive a le dernier mot. C’est cette prédominance nécessaire et décisive du chef qui assure l’homogénéité et la force d’un vrai cabinet parlementaire. Si en dehors du conseil il se trouve une influence extérieure assez puissante pour annuler ou balancer l’autorité du chef visible, pour soutenir dans ses résistances ou dans ses prétentions un des ministres, c’est cette influence qui gouverne, qui provoque et dénoue les crises à volonté. Voilà précisément ce qui fait que M. Waddington a été remplacé il y a un an bientôt par M. de Freycinet et que M. de Freycinet à son tour vient d’être vaincu par M. Constans ! Qui pourrait dire que tout le bruit qui s’est élevé dans ces dernières semaines aurait suffi pour renverser un cabinet si la lettre de M. Guichard n’avait pas eu un inspirateur et si les ministres qui’ ont donné le signal de la sécession dans le conseil ne s’étaient pas sentis aiguillonnés et soutenus ?

Assurément M. Gambetta, puisque c’est aujourd’hui le nom de cette influence qui règne et gouverne, qui fait et défait les ministères, M. Gambetta est un personnage considérable et prépotent en France. Il s’est fait une situation exceptionnelle et commode du haut de laquelle il dispose à peu près de tout sans avoir la responsabilité de rien. Il n’y a qu’un malheur : M. le président de la chambre des députés ne peut sans doute se promettre de se réserver indéfiniment, ni se borner à charmer les commis-voyageurs par ses discours. S’il a l’ambition très légitime de diriger les affaires du pays, il n’a qu’un moyen sérieux et régulier :