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paraît n’avoir jamais été bien sûr de ce qu’il faisait, et qui a surtout craint de se compromettre. Qu’il ait hasardé cette tentative sans tenir le gouvernement, ou tout au moins M. le président de la république, au courant de ses démarches, on ne peut le croire, et c’est un grief à écarter. Il reste simplement acquis, et c’est bien assez, qu’il n’a su ou qu’il n’a pu ni faire accepter sa pensée par ses collègues ni en assumer la responsabilité jusqu’au bout. En un mot, à aucun moment, il n’a été un vrai président du conseil. S’il l’eût été, il ne se serait pas retiré au moment le plus difficile, laissant une question déjà fort épineuse un peu plus compromise qu’elle ne l’était auparavant. Il aurait tenu, non par ambition, mais par respect pour le pouvoir, à rester au poste où il avait reçu des votes de confiance avant l’interrègne parlementaire. Il aurait fait entendre à ses collègues que rien ne pouvait être perdu parce que l’exécution des décrets resterait en suspens. pour quelques jours encore, que la première loi était d’attendre la réunion des chambres, d’aller s’expliquer devant elles, de leur rendre compte de toute une politique. Il aurait peut-être réussi devant le parlement, et dans tous les cas, s’il avait échoué, il aurait fait ce qu’il devait ; il serait alors tombé en chef de cabinet, non plus à demi furtivement, en plein combat, emportant dans sa retraite l’honneur d’une pensée conçue pour épargner au pays des agitations dangereuses ou inutiles. M. de Freycinet n’en a cependant rien fait, et s’il ne l’a pas fait, il faut bien qu’il ait eu quelque raison. De deux choses l’une : ou il a plié sous le fardeau, victime des difficultés qu’il s’est créées par ses faiblesses, ou bien, au moment décisif, il a vu derrière l’opposition de ses collègues, de quelques-uns de ses collègues, une autre influence avec laquelle il a refusé de se mesurer, et c’est là justement, en dehors de toute considération d’un ordre personnel, le côté le plus sérieux des derniers incidens ministériels. C’est cette intervention active, permanente, indéfinissable d’une influence irrégulière qui fait la gravité d’une crise où sont également intéressés l’équilibre constitutionnel, l’intégrité et la liberté du régime parlementaire.

De toute façon, quel qu’ait été le motif avoué et immédiat de la démission de M. de Freycinet, ces révolutions de pouvoir accomplies à l’improviste devant un pays plus surpris qu’édifié ne restent pas moins une anomalie, et elles sont d’autant plus caractéristiques qu’elles tendent à se reproduire périodiquement, qu’elles semblent procéder des mêmes causes. Elles deviennent une habitude, presque une tradition. Les présidens du conseil n’ont pas de bonheur, ils ont besoin de regarder de bien des côtés pour se croire à demi solides à leur poste. Nous ne parlons pas de M. Dufaure, dont la retraite spontanée et toute volontaire, au lendemain d’un succès, a coïncidé avec l’entrée de M. Grévy à la présidence. L’an dernier, le successeur de M. Dufaure, M.