Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre chambre l’autorité d’un des pouvoirs constitutionnels et de profiter de la circonstance pour chercher quelque solution plus libérale, plus équitable, il a renié le sénat ; il s’est hâté d’offrir à la chambre des députés, à la majorité qu’il redoutait, les décrets du 29 mars comme un dédommagement, comme une représaille contre les ordres religieux et contre le sénat. Il n’a réussi à rien, si ce n’est à se créer des difficultés nouvelles. Il n’est arrivé qu’à glisser dans une situation fausse où il s’est aliéné des appuis qui auraient pu être sa force, où il s’est réduit lui-même à ne pouvoir invoquer que des concours compromettans. Le malheur de M. de Freycinet a été de n’être un président du conseil ni vis-à-vis de ses collègues ni vis-à-vis des partis. S’il a cru s’affermir en gagnant du temps, en prodiguant les ménagemens, il s’est trompé ; il s’est épuisé en concessions ; il s’est progressivement affaibli et, par une logique aussi triste qu’irrésistible, il s’est trouvé impuissant le jour où il aurait eu le plus besoin d’exercer son ascendant sur ses collègues et d’avoir l’autorité nécessaire pour fixer lui-même le caractère, les limites de la politique religieuse à laquelle il s’était associé.

Parlons franchement La politique qui a été une des causes apparentes de la dernière crise, qui s’est traduite par le discours de Montauban, par des négociations plus ou moins confidentielles et qui a suscité aussitôt des contestations plus bruyantes que sérieuses, plus passionnées que réfléchies, cette politique n’avait assurément par elle-même rien que d’avouable. Il n’y a que les esprits futiles ou emportés qui se figurent qu’on est libre de tout faire sans traiter avec personne, qu’on peut manier les intérêts les plus délicats, surtout les intérêts religieux, sans tenir compté de rien, — et lorsqu’on cite si souvent les interpellations de 1845, les discours de M. Thiers, l’ordre du jour de la chambre d’alors, la dispersion des jésuites, on oublie précisément que tout s’est passé à peu près à cette époque suivant le programme dont paraît avoir voulu s’inspirer le dernier président du conseil. Les jésuites se sont dispersés d’eux-mêmes, après une négociation, sur un conseil de Rome, et il n’en a plus été question pour le moment. Parce que l’état croit devoir agir avec mesure, il n’abdique pas ses droits, il ne les abdiquerait pas plus aujourd’hui qu’il ne les abdiquait en 1845. Que le chef du cabinet d’hier ait donc négocié, ainsi que tout l’indique, ou plutôt qu’il ait eu des communications avec le Vatican, avec des membres de l’épiscopat, sur des affaires qui touchent de si près à l’église, il n’y a là en vérité rien d’extraordinaire, rien qui mette en péril la république ! En agissant ainsi, il n’aurait pas excédé son droit, il serait plutôt resté dans son devoir.

Ce qui à tout perdu, c’est qu’il est malheureusement clair que, dans cette délicate campagne, M. de Freycinet a manqué de résolution et de netteté. Il a visiblement conduit toute cette affaire en homme qui