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le représentant principal, le chef responsable du gouvernement, qui est obligé d’amener son pavillon, et ici, quelque pacifique qu’ait été cette petite révolution de pouvoir, il faut aller un peu plus au fond des choses. Il faut serrer de plus près cette crise où il ne s’agit pas seulement d’un chef de cabinet disparu, où il y a toute sorte de questions de politique supérieure, de régularité parlementaire, même de droit constitutionnel. La vérité est que, dans ce récent imbroglio ministériel, tout est bizarre, irrégulier, incohérent : tout trahit ou une bien faible idée de la nature des institutions libres, ou l’intervention démesurée d’influences faites pour rendre tous les pouvoirs précaires.

Assurément, à ne considérer que ce qu’il y a de personnel dans les incidens qui viennent de se dérouler, l’ancien président du conseil est sorti de la dernière crise avec une certaine dignité. C’est une justice à lui rendre : il y a un point où il s’est retranché et où il a résisté, refusant d’acheter quelques semaines de pouvoir de plus au prix d’une équivoque qui ne l’aurait probablement pas sauvé. Il a su accepter la nécessité d’une retraite immédiate plutôt que de subir jusqu’au bout des pressions humiliantes qui ne lui auraient plus laissé bientôt ni la liberté de ses résolutions ni l’honneur des engagemens respectés. Rien de mieux. Il est tombé, si l’on veut, convenablement, avec cette bonne grâce un peu triste, assez résignée, d’un homme qui visiblement n’a pas toujours fait ce qu’il a voulu, qui n’a pas l’âpreté du pouvoir. Il n’est pas moins tombé sans éclat pour lui-même, sans profit pour le pays, laissant dans la politique qu’il a dirigée, dans une multitude de questions qui se sont imposées à lui, les marques de ses faiblesses et de ses condescendances. M. de Freycinet n’a pas su saisir les occasions favorables. Au moment où il arrivait à la présidence du conseil, il y a moins d’un an, il avait sans doute encore une position assez intacte pour revendiquer devant les chambres l’autorité d’un chef responsable du gouvernement, pour faire sentir avec suite, avec efficacité, l’action d’un ministre dirigeant. Il a trop cru suppléer à tout avec de la souplesse et de là dextérité. Il s’est trop flatté de pouvoir suivre une politique relativement modérée avec des auxiliaires exclusifs et souvent violens, de gagner, de retenir une majorité en allant sans cesse au-devant de ses exigences, en offrant des satisfactions complaisantes à ses passions ou à ses préjugés de parti. Il a cédé, il a beaucoup cédé, au risque de se désavouer et d’abdiquer parfois son propre jugement. Quand on l’a menacé de l’amnistie, il a oublié ou il a paru oublier tout ce qu’il avait dit peu de temps auparavant et il s’est fait lui-même le promoteur de l’amnistie ; il s’est figuré naïvement travailler à’ l’union du parti républicain ! Quand le sénat lui a rendu le service de le délivrer par son vote de l’article 7, qu’il était personnellement loin d’approuver, au lieu d’accepter un fait heureusement accompli, de maintenir devant