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de cette crise inattendue, ouverte en pleine paix, presque au lendemain des votes de confiance qui ont signalé la fin de la session ? Le secret, il est assez simple, assez transparent. C’est cette éternelle affaire de l’exécution des décrets du 29 mars qui n’a pas épuisé son venin, qui a déjà créé bien des difficultés et qui en créera bien d’autres, pour les ministères, peut-être pour la république elle-même.

Reprenons un instant cette obscure histoire d’hier, drame ou comédie, qui ne laisse pas d’avoir sa moralité et d’être un curieux spécimen de la vie publique qu’on nous fait. Dégageons, s’il se peut, les points principaux et saisissables de l’imbroglio ministériel. Il y a quelques semaines tout au plus, il n’est encore question de rien, on ne distingue ni une apparence ni une menace de crise. Tout est aux plaisirs des fêtes, aux démonstrations et aux illusions. Le ministère, au dire de ses flatteurs, a la vie assurée pour le moins jusqu’aux élections prochaines.

On en est encore au prologue. Avec le discours de Montauban tout paraît changer, l’action commence à se nouer d’une manière sérieuse. Évidemment le chef du cabinet avait ses intentions et ses raisons lorsque, dans un langage mesuré et calculé, il donnait à entendre que l’exécution des décrets sur les ordres religieux pourrait subir un ralentissement au moins jusqu’au vote d’une loi générale sur les associations. M. de Freycinet ne disait pas sans doute tout ce qu’il savait, tout ce qu’il voulait, il en disait assez pour laisser pressentir qu’il y avait quelque chose d’inconnu ou de nouveau. C’est le premier acte de la pièce. Deuxième acte : les ordres religieux eux-mêmes entrent en scène par cette déclaration qui a retenti partout, qui est un témoignage de soumission aux institutions du pays, un désaveu de toute hostilité contre la république et qui, rapprochée des paroles prononcées à Montauban, en déterminent jusqu’à un certain point le vrai sens. Déclaration des ordres et discours ministériel, cela est bien clair aujourd’hui, se rattachaient à une négociation conciliatrice dont le secret n’a pas tardé à être divulgué ; mais, à peine cette pensée est-elle à demi dévoilée, l’insurrection se met au camp républicain, et un des patriarches du parti connu pour son intimité avec M. le président de la chambre des députés, M. Guichard, écrit en toute hâte une lettre, sonnant le tocsin d’alarme, provoquant une réunion extraordinaire de la gauche pour délibérer sur ce qu’il appelle u la nouvelle attitude du cabinet » dans l’affaire des congrégations. Vainement le président même de la gauche, M. Devès, fait observer à M. Guichard qu’une convocation comme celle qu’il réclame ressemblerait à une « main-mise sur la direction de la politique intérieure, » qu’il est plus prudent d’attendre la réunion des chambres : le coup est porté ! Il y a deux politiques en présence, la politique du discours de Montauban, de la déclaration des ordres, de la négociation avec le Vatican, et la politique de l’exécution pure et simple des décrets, rappelée par un