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… Ma conduite n’est pas si difficile à expliquer que vous croyez. Je sais que vous avez un certain fond d’indulgence pour moi, et j’en abuse quelquefois. Voilà tout. Il vous plaît d’appeler cette indulgence de l’affection et ma conduite de l’ingratitude ; c’est en quoi je me permets une appréciation différente de la vôtre. Si je croyais sincèrement, véritablement posséder votre affection, je… Peu importe ce que je ferais, puisque je suis sûr du contraire. Je connais très exactement le genre de sentiment que je vous inspire. J’occupe dans votre vie une place très distinguée entre Popilius et votre terre-neuve. Je ne me plains pas ; c’est plus sans doute que je ne mérite. Mais enfin si vous me demandez pourquoi il se présente certaines irrégularités dans mes rapports avec vous, je vous répondrai qu’elles ont peu d’importance à mes yeux parce que je sais qu’elles n’en ont aucune aux vôtres. Je suis toujours sûr d’obtenir mon pardon. On pardonne mille fois plus facilement aux gens qui vous amusent qu’aux personnes qu’on aime, et si vous me demandez pourquoi, en règle générale, je ne vous accable pas de mes visites, vous saurez que c’est parce que je vous crains, parce que je vous sais, par expérience, trop bien à l’abri de cette affection que vous inspirez sans la ressentir, et dont vous parlez sans la connaître.

Vous voulez savoir ce que je fais. Je ne fais rien que me débattre contre des conspirations assommantes qui semblent vouloir emporter ma tête d’un côté et mon cœur de l’autre. C’est un tourment étrange ! Si vous le connaissez, je vous plains, mais si vous ne l’avez jamais connu, je vous plains plus encore. Je suis bien bon de plaindre une personne aussi supérieure que vous l’êtes à toutes ces misères terrestres. Je ne puis, je ne veux, je ne dois que vous admirer. Vous voyez bien que c’est là ma véritable destinée. Je finis ainsi après avoir pris la plume avec l’intention de barbouiller d’encre vos belles mains. Il ne me reste plus qu’à les baiser et à me taire.


On le voit, les amitiés n’ont point fait défaut à Lanfrey dans le monde féminin de Paris. Il les a recherchées avec une ardeur de coquetterie qui ne laissait pas que d’étonner de la part de celui qui, très réservé et timide à leur endroit, n’a jamais perdu une occasion de s’exprimer sur le compte des personnes de l’autre sexe avec une dureté plus que voisine de l’injustice. Lui, toujours si froid à l’égard de tout le monde, il cultivait avec des recherches d’une délicatesse infinie, quand il les avait une fois formées, ces liaisons d’un genre si particulier. Le feu de l’engouement passé, il ne leur