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temps dans ce recueil des articles de plus longue haleine. Réunis plus tard en un volume sous le titre d’Etudes et Portraits politiques, ces morceaux détachés méritent d’arrêter notre attention parce que le choix des sujets et la façon dont ils sont traités jettent un certain jour sur le caractère de M. Lanfrey et sur ses procédés de composition.


I

Un professeur de lycée, esprit libéral et distingué tel que l’université en a toujours compté, entamant, en 1867, dans le Journal d’Alençon, une série d’articles sur l’Histoire de Napoléon par Lanfrey, débute par signaler comme un trait caractéristique du talent de l’auteur son âpreté juvénile. Là-dessus, Lanfrey, d’ordinaire peu sensible aux félicitations, écrit, de premier mouvement, à ce critique, qu’il ne connaît pas, afin de le remercier, mais surtout pour dire que personne ne l’a jamais aussi bien compris. Ce jugement si volontiers accepté par Lanfrey, je crois qu’on peut le généraliser et l’étendre à tous les ouvrages sortis de sa plume. C’est l’âge et l’expérience qui nous ramènent peu à peu à l’indulgence. Dans sa fière honnêteté, la jeunesse est plus exigeante parce qu’elle n’a pas encore été obligée de rien rabattre de son idéal. Resté jeune toute sa vie et le cœur haut placé, Lanfrey a pratiqué pour lui-même le conseil qu’il donnait un jour à l’un de ses amis : « de ne jamais abaisser sa pensée devant les Béotiens. » Il se serait senti diminué dans sa propre estime s’il n’était pas entré en guerre contre les personnes et les choses qui froissaient ses convictions morales, demeurées toujours fort rigides et très ombrageuses. Il était né avec des instincts de justicier.

Si nous sommes parvenus à bien faire saisir quels étaient les traits principaux du caractère de Lanfrey, à quels instincts élevés mais un peu moroses il obéissait, avec quelle conviction il s’était donné la tâche de redresser dans ses deux premiers ouvrages des erreurs, des torts ou des faiblesses de conduite qui remontaient assez loin dans le passé de notre histoire, on s’étonnera moins de le trouver armé de la même sévérité dans les études qu’il a publiées sur les hommes de l’empire, de la restauration et du gouvernement de juillet. Cette sévérité, il ne songe point à s’en défendre. « Par ce temps de critique relâchée, écrit-il dans l’Avant-propos mis en tête des Études et Portraits, ce qui semble excès de rigueur pourrait bien n’être que stricte justice. Au reste, je n’aurai pas été sans payer aussi mon tribut au goût de notre génération pour les