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affaires publiques, d’aller curieusement chercher dans les revues les rares indices du mouvement d’opinion qu’elles ne désespéraient pas de voir sourdre un jour malgré l’indifférence devenue presque générale. Parmi les étrangers résidant à Paris, au sein du corps diplomatique, chez nos propres agens du dehors, partout où l’on était attentif à se tenir au courant de la marche des événemens et désireux de deviner la direction que les esprits français pourraient bien prendre au sortir de la léthargie dans laquelle ils semblaient présentement endormis, la chronique de la Revue des Deux Mondes était en train de conquérir une autorité incontestable et presque exclusive. C’était le temps où, par l’exactitude de ses informations, par la multiplicité de ses connaissances, par la sagacité et la profondeur de son coup d’œil, par l’habileté et la modération jamais démenties de sa plume, M. Forcade prêtait la forme la plus brillante (je ne voudrais pas dire aux protestations, le mot n’eût pas été de mise à cette époque) ; mais aux timides réserves, aux revendications modestes, mais persistantes toutefois du parti constitutionnel contre les théories absolues et les pratiques arbitraires des détenteurs du pouvoir. Prendre dans un autre recueil la parole au nom de ses coreligionnaires politiques, et produire les griefs du parti républicain contre le régime impérial, telle était l’ambition de Lanfrey.

Quoiqu’elles ne soient pas sans mérite, quoiqu’elles n’aient pas laissé que d’avoir leur influence sur l’attitude et la ligne de conduite d’un certain groupe politique plus important par la valeur des chefs que par le nombre des adhérens, nous ne nous étendrons pas longuement sur les chroniques de Lanfrey dans la Revue nationale, et nous nous bornerons à indiquer quels en furent le caractère général et les tendances. La nouvelle recrue de M. Charpentier était bien résolue à n’abaisser devant aucun autre le drapeau des hommes de son parti ; mais obéir aveuglément à des mots d’ordre mystérieux, recevoir avec soumission des consignes toutes faites, voilà ce dont il ne pouvait être question avec lui. Autant il tenait à honneur de rester fidèle à la cause qu’il avait embrassée, autant Lanfrey fut pressé de bien établir qu’il lui demanderait vainement de sacrifier ses convictions libérales à des passions de sectaires ou d’accepter, sous prétextes de prétendues nécessités politiques, des compromis qui répugnaient à sa conscience. Les occasions de manifester l’attitude indépendante qu’il entendait maintenir envers et contre tous, particulièrement à l’égard des meneurs de la démocratie, ne lui firent pas d’ailleurs longtemps défaut. C’est ainsi qu’au moment où la plupart des journaux avancés jugeaient à propos de prendre parti pour M. le duc de Persigny contre les sociétés charitables de Saint-Vincent de Paul, Lanfrey refusa absolument de les suivre dans cette triste