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résidence de Chiswick-House. « N’y allez pas, lui disait lady Holland, cette maison vous portera malheur : c’est là qu’est mort M. Fox. » Presque en arrivant, Canning dut se mettre au lit. Peu de jours après, à la suite d’une longue et douloureuse agonie, il rendait le dernier soupir dans la chambre où Fox était mort vingt ans auparavant.

Son œuvre restait inachevée. Ses collègues, sans lui, étaient hors d’état de la mener à bonne fin. Ils essayèrent cependant de se maintenir au pouvoir, sous la présidence du faible lord Goderich. Au bout de quelques mois, il leur fallut céder la place aux tories, qui rentrèrent triomphalement au pouvoir, avec Wellington comme premier ministre et Robert Peel comme leader de la chambre des communes. Le petit groupe des amis personnels de Canning, Palmerston en tête, se fondit définitivement dans le parti libéral. Du haut en bas de l’administration, l’esprit protestant redevint tout-puissant. Lord Wellesley fut remplacé comme vice-roi d’Irlande par un des compagnons d’armes de Wellington, le marquis d’Anglesey. Tout le monde croyait et devait croire que les catholiques n’avaient plus rien à espérer. Ils étaient à la veille du triomphe. C’est ainsi que les événemens parfois déjouent tous les calculs et démentent toutes les prévisions. Canning était arrivé au pouvoir à l’heure même où, cédant au découragement, il allait partir pour l’Inde. Les catholiques allaient obtenir d’un ministère entièrement tory ce qui leur avait été refusé sous une administration semi-libérale. Comment s’opéra ce revirement ? C’est ce que nous allons expliquer ; mais pour cela il faut reprendre les choses d’un peu plus haut et remonter à quelques années en arrière.

En 1823, l’infatigable O’Connell avait fondé l’association catholique pour remplacer le bureau catholique et le comité catholique précédemment dissous par l’autorité. Pour ne pas tomber sous le coup des lois qui avaient été édictées contre les précédentes associations et notamment contre la fameuse société des Irlandais-Unis, O’Connell, dans cette organisation nouvelle, avait évité tout ce qui ressemblait à une élection. Le comité directeur était permanent. Sous cette forme, l’association vécut pendant deux ans et fit d’immenses progrès. Les protestans, de leur côté, avaient établi des loges orangistes, constituées de manière à éluder les dispositions de la loi. Toute la population de l’île se groupa bientôt auteur de ces deux organisations rivales. Cinq millions de catholiques obéissaient à l’association dirigée par O’Connell : 800,000 protestans recevaient le mot d’ordre des loges orangistes. Il y avait donc deux gouvernemens en Irlande, sans compter le troisième, le gouvernement légal, qui n’avait personne autour de lui. En 1825, on essaya de mettre un terme à cette situation. Une loi plus sévère et plus