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protestations font peu d’effet. Quand le courant de l’opinion a pris une direction, ce ne sont pas des paroles qui peuvent la modifier. Les événemens seuls ont ce privilège. Le sentiment public était de plus en plus avec lord Liverpool et ses collègues. Chaque victoire des armées alliées affermissait le ministère, chaque défaite de Napoléon affaiblissait l’opposition et enlevait des chances aux revendications des partisans de la liberté religieuse.

Sous l’influence de ces dispositions, une nouvelle proposition en faveur des catholiques, présentée par Grattan et soutenue par Canning, ne fut plus votée que par une majorité de 40 voix. C’étaient 60 voix de moins que l’année précédente. Il se produisit d’ailleurs, après la deuxième lecture du bill, un incident qui déconcerta complètement les défenseurs de la liberté religieuse. La chambre s’était formée en comité pour examiner les détails du bill. Le speaker, M. Abbott, avait cédé sa place au président des comités. Il pouvait donc prendre part à la discussion. Il présenta un amendement portant que les catholiques auraient tous les droits, sauf celui de siéger et de voter dans le parlement. C’était détruire de fond en comble la proposition de Grattan. Telle était l’influence personnelle de M. Abbott que la chambre, se déjugeant, vota l’amendement à une faible majorité (251 voix contre 247). L’intervention du speaker dans cette occasion fut blâmée par bien des gens. Le bill n’en était pas moins perdu. Grattan et ses amis l’abandonnèrent. Ils n’avaient pas même eu le bonheur de voir leur proposition approuvée par ceux en faveur de qui elle était faite. Dans leur désir de faire passer le bill, ils avaient multiplié les précautions pour rassurer les protestans. Pour remplacer l’ancien serment qu’un catholique ne pouvait prêter sans abjurer sa foi, ils avaient imaginé une nouvelle formule qu’ils croyaient acceptable et qui pouvait paraître telle en effet à des hommes politiques. Malheureusement les prélats catholiques d’Irlande n’en jugèrent pas ainsi. Le comité catholique de Dublin, dirigé par O’Connell, se prononça dans le même sens que les prélats. La cour de Rome était disposée à se montrer plus conciliante, mais elle dut s’incliner devant des scrupules assurément très respectables. Les prélats déclarèrent que la nouvelle formule de serment contenait des déclarations incompatibles avec la discipline de l’église catholique et qu’on ne pouvait y adhérer sans devenir schismatique. Si donc le bill avait été voté, il est extrêmement probable que la question n’aurait pas été résolue, puisque les catholiques ne se seraient pas crus en droit de prêter le nouveau serment.

La protestation des évêques contre le bill de Grattan donna au parti protestant un prétexte pour affirmer que les catholiques