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En fait, George III ne recouvra jamais la raison. Sous le nom de régence, ce fut donc un règne nouveau qui commença. Si l’événement s’était produit dix ans plus tôt, il est très probable que le prince-régent aurait immédiatement constitué un cabinet libéral : à cette époque, il était complètement sous l’influence de Fox et de Sheridan. Depuis, Fox était mort ; Sheridan s’était maintenu dans l’intimité du prince, mais son crédit commençait à baisser, et lui-même d’ailleurs avait fait quelques infidélités au parti libéral. En arrivant au pouvoir, le prince-régent trouva d’abord commode de ne faire aucun changement. Puis, étant constamment en rapport avec des ministres tories, il adopta insensiblement leurs idées. Il ne se passionna pas pour le torysme : il ne se passionnait pour rien. Les opinions que son père avait embrassées avec conviction et soutenues avec passion, il les accepta, lui, moitié par indifférence et moitié par intérêt personnel. Perceval et lord Eldon n’étaient pas seulement des adversaires ardens de la liberté religieuse, c’étaient en même temps des défenseurs zélés de la prérogative royale. Par ce côté, ils convenaient à merveille au régent. Cependant il ne voulut pas rompre complètement avec les whigs, dont il pouvait un jour avoir besoin. Il déclara qu’il conservait le cabinet « par déférence pour son père. » Cette déclaration, consignée dans une lettre qu’il adressa au premier ministre, dut faire sourire ceux qui savaient à quel point le prince de Galles avait depuis longtemps foulé aux pieds tous les devoirs de famille. Mauvais fils, mari détestable, il avait empoisonné la vie de son père par ses désordres et ses prodigalités, il avait compromis à tout jamais le repos et la dignité de son ménage par les tristes exemples qu’il avait donnés à sa femme et par le dédain qu’il lui avait témoigné dès le lendemain de ses noces. Père égoïste et indifférent, il ne s’était jamais intéressé à l’éducation de sa fille, la gracieuse princesse Charlotte, et il la laissa entre les mains de subalternes jusqu’au jour où, songeant à la marier, il fut obligé de la placer dans une situation plus digne de l’héritière du trône d’Angleterre.

Le parti protestant ne se senti qu’à moitié rassuré par le maintien du cabinet Perceval. On considérait toujours le régent comme attaché au parti libéral, avec lequel il avait été en relations pendant sa jeunesse. D’un autre côté, connaissant sa nature égoïste et indifférente, l’on doutait qu’il fût capable, comme son père, de défendre avec acharnement ses idées. Aussi se demandait-on quelle attitude il prendrait le jour où expireraient les restrictions apportées à son pouvoir. Le cabinet avait la majorité dans les deux chambres ; mais à cette époque l’influence de la couronne était telle encore qu’on avait vu deux fois la volonté personnelle de