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son discours fut immense. On venait d’avoir des élections générales, et beaucoup de membres nouveaux de la chambre des communes n’avaient jamais entendu l’ancien chef du gouvernement. Quand il se rassit au milieu des applaudissemens, Fox, prenant à son tour la parole, rendit un hommage éclatant à son ancien adversaire : « Nous venons d’entendre, dit-il, un discours que Démosthène eût admiré et que peut-être il eût envié. » Quoique le discours fût remarquable, l’éloge était excessif. Le Démosthène de l’Angleterre n’était pas Pitt : c’était Fox.

Grenville faisait de grands efforts pour amener un rapprochement entre Pitt et Fox. Après avoir longtemps combattu ce dernier, il s’était trouvé avec lui depuis deux ans dans les rangs de l’opposition, et il avait été séduit, comme tous ceux qui l’approchaient, par la loyauté de son caractère et la sûreté de son commerce. Pitt hésitait à entrer dans la coalition qui lui était proposée, non point par prévention personnelle contre Fox, dont il appréciait autant qu’homme du monde les généreuses qualités, mais par le sentiment des difficultés qu’il rencontrerait pour s’entendre sur un programme politique avec son ancien adversaire. Il craignait surtout que Fox n’exigeât une solution immédiate de la question catholique. Il refusa donc de conclure une alliance formelle ; mais de plus en plus irrité contre Addington, qui venait de nommer Tierney trésorier de la marine et qui faisait des ouvertures à Erskine et à Sheridan, il rompit ouvertement avec le ministère, persuadé qu’il serait nécessairement soutenu par Grenville et par Fox. Le 15 mars 1804, il ouvrait le feu par une motion sur l’état de la marine. Combattu par Sheridan et par Tierney, il se trouva en minorité de 70 voix. Après les vacances de Pâques, nouvelle attaque de Pitt contre le ministère, à propos d’un projet de loi sur l’organisation de la milice. Cette fois Addington n’a plus que 21 voix de majorité. Il sent peu à peu le terrain manquer sous ses pieds. Dans la chambre des communes, il lui faut tenir tête aux debaters les plus redoutables, à Pitt, à Fox, à Canning. Erskine et Sheridan, sur le conseil du prince de Galles, ont refusé d’entrer dans son ministère. Cependant il continue encore la lutte pendant quelques jours. Enfin le 26 avril, à la suite d’un nouveau vote dans lequel il n’a eu qu’une majorité de 24 voix, il donne sa démission.

Le roi s’attendait à ce dénoûment, et depuis quelques jours déjà il avait fait faire secrètement des ouvertures à Pitt par le chancelier, lord Eldon. Lorsqu’il eut reçu la démission d’Addington, ce fut encore lord Eldon qu’il envoya chez Pitt pour lui offrir formellement le ministère. Pitt adressa au roi ses propositions par écrit. Il voulait faire entrer dans le ministère Grenville et Fox. Il prévoyait que ce dernier nom serait difficile à faire accepter. En