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Enfin ils étaient électeurs. C’était l’émancipation partielle : ce n’était pas l’émancipation complète. Ils restaient exclus de tous les postes importans dans l’armée, dans la marine, dans l’administration et dans la magistrature. Ils ne pouvaient siéger dans les deux chambres. C’étaient ces incapacités qu’il fallait faire disparaître, non-seulement en Irlande, mais en Angleterre, si l’on voulait mettre enfin les catholiques sur le pied de l’égalité avec les protestans et faire disparaître de la législation les dernières traces des discordes religieuses du XVIe et du XVIIe siècles.

Pitt ne pouvait se dissimuler la difficulté qu’il aurait à faire accepter par le roi une réforme de cette nature. George III était un singulier mélange des qualités morales les plus hautes et des faiblesses intellectuelles les plus regrettables. Tandis que d’autres connaissent leur devoir et ne le font pas, George III était homme à faire héroïquement le sien. Malheureusement il le voyait souvent là où il n’était pas. Il avait juré à son couronnement de défendre la foi protestante : il se mit en tête que ce serment lui interdisait d’adoucir les rigueurs d’une législation injuste et tyrannique. A ses yeux, l’intolérance était un devoir : plus qu’un devoir, un point d’honneur. On essaya de lui prouver qu’il pouvait rester un fidèle défenseur de la foi protestante tout en améliorant la condition de ses sujets catholiques : on ne réussit pas à le convaincre. Très probablement il regrettait les premières réformes accomplies en 1792 et 1793. En tout cas, il était décidé à ne pas aller plus loin. Il aurait cru commettre un parjure. Un jour, il lut à sa famille le serment du couronnement, et il ajouta : « Si je viole ce serment, je perds tous mes droits à la couronne ; ils passent à la maison de Savoie. » En parlant ainsi, les larmes lui venaient aux yeux. C’était à la fois absurde et touchant.

Voilà l’homme que Pitt devait convertir à la cause des catholiques. L’entreprise n’était pas aisée, et il semble que le premier ministre aurait dû la préparer de longue main. Tout au contraire, il attendit la dernière heure pour poser la question. Reculait-il devant la nécessité de faire à son souverain une communication désagréable ? Espérait-il lui faire accepter plus facilement la mesure en n’ayant pas l’air d’y attacher trop d’importance ? Ou bien encore était-il complètement absorbé par les soucis de la guerre contre la France ? On ne pourra jamais faire que des conjectures sur les motifs de la conduite de Pitt dans cette circonstance, puisqu’il n’a laissé, pour les expliquer, ni mémoires ni papiers secrets. Les contemporains ont cru que, regardant la paix comme nécessaire et ne voulant pas la signer lui-même, il n’avait cherché, dans la question catholique, qu’un prétexte honorable pour quitter le pouvoir. Cette supposition ne peut plus être admise aujourd’hui que nous connaissons