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et aux ennuis de toute sorte. Chose singulière, la perte du général, dont à l’origine ils attendaient si peu, frappa d’un coup subit Lanskoï, Milutine, et ce qu’on pourrait appeler la gauche du comité. Au ministère de l’intérieur comme au palais Michel, Rostovtsef laissait des regrets qu’un an plus tôt on n’eût pas crus sincères. Lanskoï appelait immédiatement Milutine comme en un péril pressant[1]. On craignait qu’à un président incertain et hésitant, mais déjà en grande partie gagné ou converti, en tout cas sincèrement désireux de mener l’affaire à bien, ne succédât un président ouvertement ou sourdement hostile. Ces appréhensions n’étaient pas vaines. Le comte Panine, bientôt désigné comme successeur de Rostovtsef, s’était rangé parmi les adversaires de la réforme telle que l’entendait le ministère de l’intérieur. Les railleries et les attaques de la Cloche de Herzen en avaient fait un des hommes les moins populaires de l’empire. Sa nomination était pour le parti conservateur et aristocratique une victoire qui devait retarder de plusieurs mois l’achèvement des travaux du comité. Il est vrai, comme Lanskoï en informait immédiatement Milutine, que le nouveau président ne devait rien changer à la marche suivie jusqu’alors[2]. Il semble qu’au moment où, par principe, on allait donner gain de cause aux défenseurs des paysans, on ait voulu faire dans les personnes une concession au parti des grands propriétaires. Soit calcul, soit indécision, cette manière de compensation et de balance allait devenir presque un système. En acceptant leurs idées, on devait bientôt écarter Milutine et ses amis pour désarmer la noblesse.

A peine nommé, le comte Panine, bien qu’il passât justement pour peu favorable aux bases de la réforme, demandait à conférer avec Milutine. Lanskoï en informait son adjoint en des termes qui ne déguisaient pas ses défiantes inquiétudes.


Le ministre Lanskoï à N. Milutine.


« 13 février 1860.

« Le comte Panine désire vous voir pour avoir des renseignemens exacts sur l’état et la marche des travaux des deux

  1. « Rostovtsef est mort ce matin à sept heures ; venez me voir aussitôt que vous le pourrez ; il faut nous concerter sur ce qu’il y a à faire. » (Lanskoï à Milutine, 4 février 1860.)
  2. « C’est Panine qui remplace Rostovtsef à la présidence de la commission, à la condition de ne rien changer à la marche des affaires ni au personnel. » (Lanskoï à Milutine, 11 février 1860.)