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côté un appel amical. Je le fais avec une joie sincère, dans l’assurance que vous ne déclinerez pas le pénible, mais agréable devoir d’accomplir l’œuvre à laquelle nous sommes tous deux voués depuis longtemps. La commission dont on vous engage à faire partie est ouverte depuis peu de jours[1].

« Vous voyez qu’on a choisi des hommes dévoués à la cause. Les experts et les membres des ministères auront exactement les mêmes droits et les mêmes obligations. Quant aux députés des comités de province, ils n’auront probablement que voix consultative. Je puis vous assurer que les bases du travail sont larges et raisonnées. Elles peuvent être acceptées en toute conscience par ceux qui cherchent une régulière et pacifique solution du problème du servage. Rejetez toute méfiance à ce sujet et arrivez hardiment. Sans doute nous ne serons pas sur des roses ; nous serons vraisemblablement en butte à la haine, à la calomnie, à des intrigues de tout genre ; mais pour cela précisément, il nous est impossible de reculer devant la lutte sans trahir toute notre vie passée. En entrant dans la commission, je comptais beaucoup sur votre collaboration, sur votre expérience, sur votre savoir. Malgré la fermeté de mes convictions, je me heurte à mille doutes qui ne peuvent être dissipés que par les indications et les conseils d’hommes pratiques. Vous êtes plus nécessaire ici que partout ailleurs[2]… »

La fin de cette lettre montre combien Milutine méritait peu le reproche de faire fi des lumières de l’expérience et de n’avoir confiance que dans les travaux du cabinet. Enfermé depuis sa première jeunesse dans les chancelleries des ministères, il sentait mieux que personne ce qui lui manquait du côté des connaissances pratiques. Ge bureaucrate avait été l’un des premiers à réclamer les conseils de grands propriétaires au courant des usages et des besoins du peuple, et c’est parmi ces pomêchtchiks, dont il passait pour l’ennemi, qu’il devait trouver ses deux plus intimes et plus fidèles amis, ceux dont le nom reste à jamais inséparable du sien.

Avant Samarine, et le premier de tous les experts de province, était arrivé à Pétersbourg un homme d’un esprit également résolu et depuis également célèbre, qui, lui aussi, devait pour la vie se lier avec Milutine d’une amitié fondée sur la communauté des principes et exempte de toute vulgaire jalousie, le prince Vladimir Tcherkaski. Dans le comité du gouvernement de Toula,

  1. Ici vient l’énumération des personnes composant le noyau primitif de la commission.
  2. Le texte russe de cette lettre a été récemment publié dans la Rousskaïa Starina (février 1880) à l’occasion du 25e anniversaire de l’avènement de l’empereur Alexandre II.