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Ce souci de l’avenir perce à chaque ligne dans la lettre suivante, où deux ans avant la convocation du comité de rédaction, on voit les premières idées de Milutine sur la marche à suivre prendre forme et couleur. On y voit combien d’obstacles il apercevait de tous côtés. et combien il tenait à ne procéder qu’avec l’autorisation impériale, — comment, tout en conseillant de faire appel à l’initiative des propriétaires, il refusait d’abandonner la solution de la question aux comités de la noblesse dont il se méfiait, — comment enfin, sentant le besoin d’un appui sur les marches mêmes du trône, il songeait déjà à faire appel au grand-duc Constantin. A plus d’un égard, cette lettre privée, sans caractère officiel, pourrait être regardée comme un programme anticipé de ce qui deux ou trois ans plus tard devait être effectué en grand,

Nicolas Milutine à la grande-duchesse Hélène,


« 19 octobre 1856.

« Madame,

« Je serais heureux de justifier la haute confiance dont Votre Altesse Impériale a daigné m’honorer ; mais plus je me pénètre de la gravité de mes devoirs, plus je sens l’insuffisance de mes moyens. Pour ne pas s’égarer dans les appréciations et les jugemens que l’on porte sur les événemens du jour, il faut avoir des données positives qui me manquent complètement. Dans ma position isolée, je connais à peine le terrain sur lequel il nous faut agir, et pour m’exprimer sur une question aussi grave et aussi délicate, je dois me pénétrer du souvenir de la bienveillance habituelle à Votre Altesse.

« D’après la pensée exprimée dans le mémoire que j’ai l’honneur de présenter ici, il s’agirait (en cas d’autorisation) d’ouvrir préalablement des négociations avec quelques propriétaires du gouvernement de Poltava pour arrêter d’abord l’organisation d’un comité provincial[1]. Ce n’est qu’après avoir reçu cette autorisation qu’on pourrait procéder à l’installation définitive de ce comité. Cette marche, d’ailleurs toute régulière et avantageuse sous plus d’un rapport, devra être confirmée par l’empereur. En ce moment, il ne s’agirait donc que d’entrer en rapports officiels avec les propriétaires les plus libéraux et les plus influens, comme par exemple le prince Kotchoubei et M. Tarnovsky, de demander leur avis sur la

  1. Première idée d’organiser des comités de province pour discuter les bases de l’émancipation.