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aux rancunes et à l’arbitraire incorrigible du tchinovnisme. Les nobles, jusque-là considérés comme classe essentiellement rurale, et à ce titre exclus de la municipalité, se montraient pour la plupart peu. flattés de délibérer en commun et sur un pied d’égalité, dans l’assemblée générale de la ville[1], avec des marchands ou des artisans. Plusieurs dédaignaient d’assister en personne à ces assemblées et n’y envoyaient que leurs intendans. Les gouverneurs et les autorités administratives s’irritaient de ne pouvoir plus disposer à leur gré des finances de la capitale et puiser librement dans la caisse de la ville. Bref, cette réforme si urgente, conduite sous le règne le plus conservateur et qui depuis a servi de point île départ au nouveau statut municipal, contribua singulièrement à faire à Milutine un renom de révolutionnaire.

Aux débuts du règne de l’empereur. Alexandre II, à l’heure même où tout en Russie semblait à la veille d’un renouvellement, ce statut de 1846, déjà vieux d’une dizaine d’années, n’était pas accepté de tous les hauts fonctionnaires. Le général I., en particulier, alors gouverneur-général de Saint-Pétersbourg, ne cachait pas son aversion pour la douma. En 1858, un minuscule incident, plus digne d’occuper Lilliput que le plus grand empire du globe, et comme d’ailleurs presque toute chose en Russie, compliqué d’une mince question de personnes, souleva entre le gouverneur-général et la municipalité pétersbourgeoise une sorte de conflit dont les éclats atteignirent Milutine, l’inventeur et le défenseur attitré de cette subversive institution. Il s’agissait de la publication par un journal d’un protocole de la douma en réponse à une lettre impertinente d’un gentilhomme, M. B., fort bien apparenté en cour. On s’indignait de voir la municipalité s’arroger sans autorisation le droit de publicité interdit sur toute la surface de l’empire.

Cette sotte affaire, en elle-même d’une petitesse ridicule, fut déférée au comité des ministres, — en Russie, on dit officiellement et non sans raison comité au lieu de conseil. Le gouverneur-général de la capitale avait été spécialement convoqué à cette séance extraordinaire. L’empereur présidait la plupart des ministres, particulièrement le fameux général Mouravief, ministre des domaines, partageaient les colères du gouverneur-général de Saint-Pétersbourg, la douma était taxée de rébellion, et l’on faisait retomber la responsabilité de cette funeste création sur Milutine. On demandait avec ironie à Lanskoï, fort embarrassé de défendre son directeur, comment il pouvait tolérer un tel homme. Une seule voix, dit-on, s’éleva en faveur de la douma et de Milutine, celle du prince Gortchakof. L’empereur, jusque-là silencieux, l’interrompit avec

  1. Obchtchoe sobranie doumy.