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C’est là une découverte, nous l’avouons humblement, qui, pour notre part, n’a pas laissé que de nous surprendre ; car en abordant la terre de l’autocratie, nous nous attendions à tout autre chose. Cette absence d’harmonie et d’unité qui nous a frappés malgré nous, dans les lois et les institutions de l’empire, ressort encore plus clairement de l’examen rétrospectif des faits, de l’étude historique des actes du gouvernement Impérial. Rien à cet égard ne saurait être plus instructif qu’un récit détaillé, nous montrant par le menu et jour par jour de quelle façon s’élaborent les lois dans un état absolu, nous faisant pour ainsi dire pénétrer, derrière l’imposante devanture officielle, au fond du bureau des ministres et comme dans les coulisses de la vie politique, pour nous laisser voir au milieu de quels conflits d’influence et de quel enchevêtrement d’intrigues ont été enfantées les plus belles de ces réformes qui, à leur naissance, ont fait la juste admiration du monde civilisé. De quelle valeur serait pour nous un pareil tableau représentant dans leur cadre habituel, non sur la scène théâtrale de l’histoire officielle, mais dans les proportions, dans le costume, dans la vérité de la vie réelle et quotidienne, les principaux acteurs du grand règne d’Alexandre II ? Ne serait-ce pas là le complément naturel et le meilleur commentaire de toutes nos études sur cet immense et énigmatique pays qui, en dépit de tous ceux qui travaillent à le faire connaître, reste encore par tant de côtés si obscur pour l’Europe et pour lui-même ?

C’est un tableau de ce genre, ou mieux c’est un coin de ce vaste tableau, mais non le moins curieux, que nous prétendons esquisser ici. Cela, nous le ferons à l’aide de notes et de souvenirs puisés à des sources sûres, à l’aide de documens originaux et de lettres authentiques que des circonstances, indifférentes au lecteur, ont fait passer par nos mains et dont nous croyons nous pouvoir servir sans tromper la confiance de personnes amies. Une pareille étude d’histoire contemporaine, alors que les héros en sont encore vivans ou sont morts d’hier, est naturellement chose délicate : je me garderai de l’oublier. Des documens tombés sous mes yeux j’userai avec réserve, d’une main discrète dans son apparente indiscrétion même. Je raconterai les anecdotes, je traduirai et citerai certaines lettres, mais en omettant souvent les noms et en supprimant toujours ce qui pourrait être blessant pour les personnes. Dans ce travail tout historique, tout objectif, étranger à tout esprit de coterie et de polémique, les personnes doivent rester hors de cause ; ce qui nous intéresse, ce que nous voulons peindre et montrer, c’est le pays., c’est l’époque des grandes réformes, c’est le système et le régime.