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On ne peut que respecter cette pudeur, mais, en y cédant, Pascal a certainement affaibli son réquisitoire. Il était bon qu’on se résignât à aborder ces ordures (du moins à l’aide du latin), et à nous renseigner ainsi sur la maladie érotique dont cette casuistique est dévorée, et qui s’accuse d’un bout à l’autre par un tel appétit des choses obscènes, et par de tels tours de force dans l’art de les présenter et de les assaisonner.

Mais, en dehors même de ces turpitudes plus voyantes, le reste, au fond, n’est pas moins honteux. Partout règne une morale également bête et odieuse, qui ne tend qu’à rapetisser et à dégrader l’homme et l’état au profit du prêtre, et ne tient aucun compte ni de la loi, ni de la justice, ni de l’honneur. Et le père Gury peut être tranquille, il n’a pas à craindre d’être censuré par aucune autorité religieuse, car les siens sont maîtres dans l’église. Mais l’église ne juge plus aujourd’hui, elle est jugée, et qu’elle absolve les jésuites, ou même qu’elle les glorifie, ils n’en sont pas moins condamnés sans retour. Du reste, si j’ai relevé tout à l’heure les condamnations ecclésiastiques prononcées contre le jésuitisme, on comprend bien que c’est dans un intérêt historique, et par rapport à Pascal. Je tenais à montrer combien était injuste et absurde, à son égard, l’imputation de mauvaise foi, et il importait de faire voir que son éloquence, comme toute grande éloquence, n’avait été que l’écho de la conscience de tous. Mais si on prend en elles-mêmes ces décisions d’autrefois si solennelles, qui est-ce qui en tient compte maintenant ? qui est-ce même qui s’en souvient ? qui est-ce qui lit encore la censure de Bossuet et de l’assemblée de 1700, ou le bref de Clément XIV ? Il n’y a que les Provinciales qui restent toujours en vue et ineffaçables. Je me hâte d’y revenir, et pour ce qui regarde les jésuites d’aujourd’hui, je renvoie simplement au livre de M. Paul Bert.

Dans un morceau que j’ai déjà cité, Marguerite Perier nous apprend que, comme on demandait à Pascal, alors bien près de sa mort, s’il ne se repentait pas d’avoir fait les Provinciales, il dit : « Je réponds que, bien loin de m’en repentir, si j’avais à les faire maintenant, je les ferais encore plus fortes. » Pascal ne pouvait parler autrement. Quand il a commencé ses Lettres, à l’occasion de la censure d’Arnauld en Sorbonne, il n’avait nullement pratiqué les casuistes et ne connaissait qu’imparfaitement le jésuitisme, comme quelque chose de déplaisant, dont il se détournait par un instinct naturel, mais qu’il n’avait pas approfondi. Pendant la lutte, il apprit à le connaître, et nous, aujourd’hui, nous le connaissons encore mieux. Personne sans doute ne pensera jamais à refaire le chef-d’œuvre de Pascal ; lui seul, s’il revenait, pourrait y prétendre. Mais si l’imagination se laisse aller à cette supposition de Pascal