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que toutes les restaurations d’alors, à commencer par celle du pape lui-même et celle des Bourbons, devaient entraîner en général la restauration du passé, et par conséquent celle des jésuites ; La bulle de Pie VII, qui est fort courte, abroge le bref de Clément XIV dans ce que nous pouvons appeler son dispositif ; mais elle ne touche pas à ses considérans, et cela n’était pas possible, car un pape ne peut déclarer qu’un autre pape s’est trompé dans ses jugemens. De sorte que ces considérans subsistent comme une pièce justificative des Provinciales[1].

Ainsi donc la polémique de Pascal a été aussi droite et aussi honnête que puissante, et elle n’a été si puissante qu’à force d’être honnête. Mais si cette puissance a été grande sur l’église et sur le monde, il est vrai qu’à l’égard des jésuites eux-mêmes elle a été nulle, et ils ne se sont repentis de rien. Tout récemment M. Paul Bert, dans sa Morale des jésuites[2], a eu le courage de dépouiller leur casuistique d’aujourd’hui, d’après quatre gros volumes latins du père Gury, professeur au collège de Jésus à Rome. Le père Gury s’abstient de soutenir dans cet ouvrage telle ou telle proposition particulière qui a été condamnée, et il avertit qu’elle l’a été ; mais l’ensemble de la doctrine n’est nullement changé, et à la lecture de ces livres les honnêtes gens ressentent la même impression de dégoût qu’ils ressentirent au milieu du XVIIe siècle quand Pascal traîna au grand jour, dans ses Provinciales, les oracles des casuistes d’autrefois, également ridicules et misérables. Ou plutôt lorsqu’on suit tout le travail de cette casuistique et qu’on le saisit dans son ensemble, les Provinciales elles-mêmes paraissent trop faibles et ne suffisent plus à ce que cette étude nous fait éprouver.

D’abord il y a une portion considérable de la casuistique qui, dans les Provinciales, est restée dans l’ombre, celle qui se rapporte à ce que la langue théologique appelle la luxure, c’est à peine si Pascal a indiqué, dans sa 9e Lettre, de la manière la plus discrète, certaines questions, les plus extraordinaires et les plus brutales qu’on puisse s’imaginer, qui ont fourni des in-folio aux casuistes[3]. Il en a craint, je crois, le scandale ; il a eu peur que la confession elle-même et la religion tout entière ne fussent atteintes par la révolte que soulèveraient ces saletés ; Il s’est abstenu, non-seulement d’en rien donner sous une forme quelconque, mais encore de faire aucun renvoi à des textes de ce genre, de peur (c’est lui qui le dit) que des-lecteurs moins scrupuleux n’allassent les chercher dans les livres mêmes.

  1. Bullarii romani Continuatio, tome XIII, Rome, 1847.
  2. Librairie Charpentier, 1880.
  3. On a supprimé et les plus brutales dans les éditions postérieures.