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fois à deux, trois ou quatre portions de messe dites en même temps.

Voici le casuiste qui reconnaît que le chrétien est obligé de faire l’aumône de son superflu, mais qui ajoute que personne n’a jamais véritablement de superflu, de sorte que personne n’est plus obligé de faire l’aumône ; — celui qui autorise un homme qui a obtenu une charge à prix d’argent, à jurer qu’il n’a rien payé, si ce serment est exigé par la loi. (Lettre 12.)

Voici enfin la permission donnée à un homme qui peut craindre qu’on ne parle mal de lui, de calomnier si bien celui qui pourrait parler ainsi, qu’il lui ôte absolument tout crédit (Lettre 14) ; etc., car je ne prétends pas tout relever.

Tous ces traits ont passé du livre de Pascal dans la censure de l’assemblée de 1700[1]. Ce qui ne paraissait être que l’invective de l’adversaire est devenu le réquisitoire du ministère public ; mieux encore, le motif des juges. Moins de cinquante ans après les Provinciales, c’est avec les textes des Provinciales que Bossuet a rédigé l’arrêt dont les casuistes ont été frappés.

Je ne veux pas dire, bien entendu, que ni l’assemblée ni Bossuet aient visé les Provinciales. Les propositions censurées sont généralement les mêmes (l’assemblée le déclare tout d’abord) qui avaient été condamnées à Rome sous l’autorité d’Alexandre VII et d’Innocent XI ; mais lorsqu’à la suite de cette censure romaine, qui, d’après les idées du temps, ne pouvait être promulguée en France, Bossuet obtient de l’épiscopat français une condamnation solennelle, prononcée dans le pays des Provinciales contre les mêmes doctrines que les Provinciales avaient flétries, j’ai droit de dire que Pascal a gagné son procès[2].

Voilà ce que méconnaissent absolument ceux qui parlent légèrement des Provinciales, et qui affectent de n’y voir que l’emportement de la verve de Pascal. Ce n’est donc pas à Pascal seulement que les jésuites ont eu affairer ses sarcasmes et son éloquence sont à lui, mais sa plainte est celle de la catholicité. Ce n’est pas Pascal, c’est l’église de France qui a relevé, comme étant bien dans les

  1. Bossuet, Œuvres complètes ; tome II, pages 615-622.
  2. Les casuistes cependant n’ont pas toujours tort, et il y a des occasions, quoique bien rares, où on est tenté de prendre parti pour eux. On peut excuser, par exemple, certaines propositions sur le duel. Si on considère qu’aujourd’hui encore la loi positive n’a pu venir à bout du duel et est réduite à le ménager, il n’est pas étonnant que les casuistes aient transigé, eux aussi, avec le point d’honneur. Ils sont plus excusables encore sur la question de l’usure. L’église avait eu le tort d’accepter du monde ancien une erreur économique, en confondant sous le même mot, usura, une chose légitime, qui est l’intérêt de l’argent, et les extorsions coupables que nous flétrissons aujourd’hui sous ce nom d’usure. En condamnant d’une manière absolue l’intérêt de l’argent, elle allait contre la nature des choses. De là les tours d’adresse auxquels la casuistique était condamnée pour se tirer de cet embarras.