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dans l’autre lettre, faites-le-moi savoir ; je vous satisferai facilement. » Plus tard, en réimprimant, on a mis dans la cinquième lettre les indications qui y manquaient d’abord, et alors on a supprimé dans la sixième l’avertissement qu’on vient de lire. On perdait ainsi un témoignage précieux de la conscience que Pascal a mise dans son travail. On voit qu’il a eu des scrupules, à la suite de la cinquième Lettre, sur une manière de citer qui, bien que parfaitement sincère, n’était pas littérale, et il s’est obligé lui-même désormais, par les renvois dont il a accompagné ses textes, à une rigoureuse exactitude.

Maintenant Pascal a-t-il été de mauvaise foi dans la manière dont il a présenté et jugé ce qu’il citait ? Les jésuites le disent, et ils ont pour eux Voltaire, qui, après avoir signalé les Provinciales comme un chef-d’œuvre, ajoute tout à coup d’un ton dégagé : « Il est vrai que tout le livre portait sur un fondement faux. On attribuait adroitement à toute la société des opinions extravagantes de plusieurs jésuites espagnols et flamands. On les aurait déterrées aussi bien chez des casuistes dominicains ou franciscains ; mais c’était aux seuls jésuites qu’on en voulait. On tâchait dans ces Lettres de prouver qu’ils avaient un dessein de corrompre les mœurs des hommes, dessein qu’aucune secte, aucune société n’a jamais eu et ne peut avoir ; mais il ne s’agissait pas d’avoir raison ; il s’agissait de divertir le public. »

Je dirai nettement que Voltaire se trompe ou nous trompe. C’est donner le change que de se récrier sur ce qu’une société ne peut avoir le dessein de corrompre les mœurs des hommes. Loin de dire que les jésuites aient eu ce dessein, Pascal avait dit précisément le contraire (5e Provinciale) : « Sachez donc que leur objet n’est pas de corrompre les mœurs ; ce n’est pas leur dessein. Mais ils n’ont pas aussi pour unique but celui de les réformer : ce serait une mauvaise politique. Voici quelle est leur pensée. Ils ont assez bonne opinion d’eux-mêmes pour croire qu’il est utile et comme nécessaire au bien de la religion que leur crédit s’étende partout et qu’ils gouvernent toutes les consciences. Et parce que les maximes évangéliques et sévères sont propres pour gouverner quelques sortes de personnes, ils s’en servent dans ces occasions où elles leur sont favorables. Mais comme ces mêmes maximes ne s’accordent pas au dessein de la plupart des gens, ils les laissent à l’égard de ceux-là, afin d’avoir de quoi satisfaire tout le monde, etc. » Voilà la vérité vraie. Les jésuites sont des politiques ; ils n’ont été créés que pour porter la politique dans la religion, c’est-à-dire là où les ressources de la politique, ses expédiens, ses manèges, ses corruptions révoltent le plus les âmes saintes, et même simplement les âmes fières. Avant tout, ils veulent être les maîtres, et ils vont