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Pascal que la théologie des jésuites et leur morale s’inspirent de la même complaisance pour la nature : ils craignent également de la rebuter par l’étrangeté des dogmes ou par la rigueur des obligations. Ils font la religion terre à terre afin d’en rendre l’accès facile. Mais plus ils descendaient ainsi, plus leurs adversaires s’élevaient au contraire vers les hauteurs. Ils disaient qu’il ne s’agit pas d’être un dévot, mais un saint ; de se laisser dresser par le prêtre, mais d’être transformé par la grâce de Dieu ; que le salut n’est pas chose à quoi suffisent le savoir-faire d’un directeur et la docilité du sujet à certaines pratiques ; qu’il y faut la vertu surnaturelle du sang du Christ et une âme que cette vertu ait remplie. Voilà comme chez ces sectaires réformateurs, jansénistes aussi bien que calvinistes, la théologie rejoint la morale, et voilà par où les Provinciales touchent aux Pensées. Il est vrai qu’ainsi le jansénisme a l’air d’anéantir l’homme pour mettre Dieu à sa place ; mais ce n’est qu’une illusion, et en réalité cette grâce qu’il invoque n’est que le plus haut effort de la nature humaine. Il dit : « C’est Dieu qui fait tout en moi ; » mais ce qu’il appelle Dieu est précisément ce qu’il sent en lui-même de plus exalté et de plus pur.


III. — DE LA POLEMIQUE DES PROVINCIALES.

La polémique des Provinciales est-elle sincère ? Les jésuites n’y veulent voir qu’une œuvre de mensonge. Recherchons ce qu’il en faut penser.

D’abord et avant tout, Pascal est-il exact matériellement ? Cite-t-il avec fidélité et ne fait-il dire aux casuistes que ce qu’ils ont dit et comme ils l’ont dit ? La réponse définitive à cette question ne pourra être faite que dans une édition complète des Provinciales, où on mettra à côté des citations de Pascal les textes complets et authentiques auxquels elles se rapportent. Mais, avant toute vérification, je suis disposé à croire à la véracité de Pascal, et voici quelles sont mes raisons.

Marguerite Perier, la nièce de Pascal, nous assure qu’elle a entendu son oncle faire les deux déclarations suivantes : premièrement, qu’il avait lu deux fois Escobar tout entier. Il faut évidemment entendre par là la Théologie morale d’Escobar, in-8o, en un volume, et non ses nombreux in-folio. Ensuite que pour les autres auteurs il n’a jamais employé un seul passage sans l’avoir lu lui-même dans le livre cité, et sans avoir examiné la matière sur laquelle il est avancé, non plus que sans avoir lu ce qui précède et ce qui suit, pour ne point hasarder de citer une objection pour une réponse. Que Pascal ait voulu être exact, à mes yeux cela ne fait