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prévalût ce que Dieu avait décidé par choix, non en vertu de leurs œuvres, mais en vertu de son appel, il fut dit : Le premier né sera assujetti à l’autre ; car il est écrit : J’ai aimé Jacob et j’ai réprouvé Ésaü. Que dirons-nous ? Y a-t-il eu injustice en Dieu ? Jamais. Dieu a dit à Moïse : J’aurai pitié de qui je veux avoir pitié ; je ferai miséricorde à qui je voudrai faire miséricorde. Ce n’est donc pas ici l’œuvre de l’homme qui s’efforce et qui court, mais celle de Dieu qui a pitié… Il fait miséricorde à qui il lui plaît ; il endurcit qui il lui plaît. Vous me dites : Pourquoi se plaint-il alors ? Qui peut résister à sa volonté ? O homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? L’ouvrage façonné dit-il à celui qui le façonne : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier n’est-il pas maître de son argile ? Ne peut-il pas tirer de la même boue un vase d’honneur et un vase d’ignominie ? (Rom., IX, 10-21.) » Et ailleurs : « C’est ainsi qu’aujourd’hui encore un petit nombre ont été sauvés par la préférence de la grâce. Si c’est par la grâce, ce n’est donc point par les œuvres ; car autrement la grâce n’est plus grâce. » (XI, 5.) — Les mieux disposés en faveur du sens commun reculaient embarrassés devant ces passages.

Aujourd’hui les esprits sont moins timides et jugent les textes eux-mêmes, au lieu de s’en servir pour juger. En lisant ces passages de Paul, la seule chose qui les embarrasse est de savoir comment Paul a pu penser et parler ainsi. Et ils en trouvent la raison là où se trouve la raison de tout, je veux dire dans l’histoire : la même parole qui semble dogmatiquement inexplicable s’explique sans peine historiquement. Ce qui a conduit Paul à ces pensées, c’est sa rupture avec les Juifs. Lui-même est né Juif, et il s’est séparé de ceux qui étaient ses frères, pour devenir le frère des Gentils en Jésus. Il faut donc qu’il prêche que les Juifs, ces aînés, ces élus, ce peuple de Dieu, sont déchus maintenant et que Dieu s’est fait par Jésus un nouveau peuple. Les Juifs avaient mérité, et non les Gentils ; mais c’est que la grâce ne se donne pas selon les mérites ; elle est de la part de Dieu un pur choix. Il lui a plu de prédestiner les Gentils à être les disciples et les images de son Fils unique : « Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a justifiés ; ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés. » (Rom., VIII, 30.) Cela répond à tout, et voila tout ce que signifie dans Paul le mystère de la grâce.

Mais ces textes, tout sacrés qu’ils sont, n’auraient pas produit, soyons-en sûrs, tout ce qu’on en a tiré, si par-dessus n’étaient venus les enseignemens des pères de l’église et surtout ceux d’Augustin. Paul est un Hébreu et un homme d’inspiration ; il jette les mots comme des éclairs qui nous étonnent et qui passent. Ses héritiers sont des raisonneurs, tout pleins de dialectique et de