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condamnée, mais elle ne fut jamais non plus acceptée par l’église, et longtemps elle y rencontra une opposition presque universelle. L’Augustinus de Jansénius, qui parut en 1640 (l’auteur était mort en 1638), ne fut que la plus énergique des protestations qui s’élevèrent contre le molinisme, accusé de renouveler l’hérésie de Pelage et de ses disciples.

Mais Jansénius parut à son tour aller trop loin ; sa pensée ne fut pas acceptée, quoiqu’il l’eût présentée comme celle même de saint Augustin, et son livre fut traité plus mal que celui de Molina. Cinq propositions qu’on donnait comme contenant l’essence de sa doctrine furent déférées, en 1649, à la faculté de théologie de Paris, puis deux ans après elles furent dénoncées à Rome. Les jésuites, accusateurs de Jansénius, réussirent pleinement dans leurs poursuites. Les cinq propositions furent condamnées à Rome, non plus en vertu de simples décisions rendues au nom du pape par l’inquisition romaine, mais, plus solennellement, par une bulle d’Innocent X, en 1653. Elles ont fait tant de bruit, que je ne puis me dispenser d’en donner le texte, quelque froids que ces subtilités nous laissent aujourd’hui :

« Il y a des commandemens de Dieu qui pour les justes de bonne volonté, et faisant effort selon ce qu’ils ont actuellement de forces, sont impossibles, et il leur manque la grâce qui les rendrait possibles.

« La grâce intérieure, dans l’état de la nature déchue, est irrésistible.

« Pour mériter et démériter, dans l’état de la nature déchue, il n’est pas besoin que l’homme soir libre de nécessité ; il suffit qu’il soit libre de contrainte.

« Les semi-pélagiens admettaient la nécessité d’une grâce prévenante intérieure pour chaque acte en particulier, même pour le commencement de la foi, et ce en quoi ils étaient hérétiques, c’est qu’ils voulaient que cette grâce fût telle que la volonté humaine eût le pouvoir d’y résister ou d’y obéir.

« Il est semi-pélagien de dire que c’est pour tous les hommes sans exception que le Christ est mort et qu’il a versé son sang. »

Les jansénistes n’osèrent pas défendre les cinq propositions, condamnées par une bulle pontificale ; mais ils soutinrent qu’elles ne contenaient pas la vraie doctrine de Jansénius ; qu’ainsi en les condamnant on ne touchait pas à cette doctrine, qui n’était autre que celle de saint Augustin, et qu’en croyant condamner Jansénius lui-même, le pape s’était trompé sur ce point de fait, son autorité ne s’étendant pas à décider d’une question de ce genre.

Cette première thèse est celle que le fameux docteur Antoine Arnauld osa plaider dans un écrit publié en 1655 (Lettre à un duc